—Par Catherine Calvet —
Patrick Chamoiseau vient de publier un ouvrage poétique et passionné, Frères migrants (Seuil, mai 2017), véritable manifeste poétique pour tous ceux qui sont refoulés aux frontières ou qui errent de centres de rétention en bidonvilles. Ce livre s’inscrit dans un large faisceau d’initiatives venant de la société civile, depuis la «Constituante migrante» (symposium-performance organisé en janvier à Beaubourg par la plateforme «le Peuple qui manque») jusqu’à l’adaptation récente au théâtre par Marcel Bozonnet du Couloir des exilés de l’anthropologue Michel Agier.
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Pourquoi choisir la poésie comme moyen de protestation contre la fermeture des frontières ?
Parce que c’est tout ce que je sais faire ! Ceci étant, il faut distinguer «poésie» et «poétique». La «poésie» est la pratique d’un langage inouï, la fréquentation d’un indicible, dans une langue. La «poétique» est une vision du monde, et de l’homme dans le monde, sur la base de ce qui fait l’irréductible humain quand on a enlevé toutes les aptitudes liées aux nécessités immédiates, à la survie et aux pures rationalisations. Une poésie suppose toujours une vision du monde ; une poétique peut, en revanche, se pratiquer sans formalisation poétique. Mon texte relève d’une poétique, celle d’Edouard Glissant. Il fraternise avec la poésie, mais il n’en est pas.
Il faut aussi considérer tout surgissement d’une barbarie comme un épuisement de l’imaginaire dominant. Un dessèchement des systèmes de représentation, qu’ils soient individuels ou collectifs. Quand le cerveau reptilien prend le dessus cela signifie que la conscience, la raison, les dispositifs symboliques actifs n’ont plus de réponse. Dans ces cas-là, il ne sert à rien d’argumenter, de raisonner, ou d’appeler au secours les dieux de l’économie. Il faut précipiter dans les esprits tout ce que l’économie néolibérale ignore : des essaims de lucioles, des arches de sensations, des boules d’images nouvelles susceptibles de déclencher du nouveau et de laisser entrevoir, sinon des leçons ou des recettes toutes faites, mais des possibilités autres. Le Cahier d’un retour au pays natal de Césaire, les Damnés de la terre ou Peau noire, Masques blancs de Fanon, ou encore le Discours antillais de Glissant ont fait plus de mal au colonialisme que toutes les résistances armées lors des indépendances. Ces poésies et poétiques ont bouleversé et ont revitalisé non seulement les imaginaires dominés mais aussi les imaginaires dominants.
Comment avez-vous rencontré le Gisti ?
Je connais le Gisti depuis l’époque où j’intervenais comme éducateur au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, dans les années 70-80. J’ai souvent collaboré avec les militants de l’époque sur des situations dramatiques où se voyaient plongés des étrangers. Le Gisti distille une poétique puissante, c’est ce qui fait l’irremplaçable de son action…
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