Patrick Chamoiseau à la rencontre du Maroc « créole »

—Par Bouthaina Azami —

chamoiseauPatrick Chamoiseau vient à la rencontre du Maroc à l’occasion de l’événement culturel « Le Français dans tous ses états. Rendez-vous avec l’un de ces rares écrivains qui ont bousculé les esprits ainsi que l’Histoire et ses clichés, pour se faire « marqueur de paroles » des infamies non assumées.

«Le Français dans tous ses états», qui fête cette année l’anniversaire de sa 10ème édition, accueille au Maroc, le 19 mars, un écrivain incontournable dont la plume, majestueuse, draine tout un monde, un «Tout Monde», pour faire un clin d’œil à Edouard Glissant, porté par cette «créolité» de rythmes telluriques, d’idiomes mêlés, de légendes filées comme autant de métaphores, de mémoires convoquées et confrontées, de langue(s) renouvelée(s)… Cette «créolité» qui tisse cet idéal de «mondialité» cher à Edouard Glissant. Partrick Chamoiseau viendra en effet présenter à Rabat son dernier livre, «L’empreinte à Crusoë». Un rendez-vous à ne pas manquer avec l’un des plus grands écrivains de notre temps. Un de ces écrivains qui ont su, de leur plume, agir sur les temps.

Si Aimé Césaire a défini les «mots braqués» du poète, du «Rebelle» comme autant d’armes de «sang frais», de «raz-de-marée», de montées de lave hurlant au mensonge et au déni, Patrick Chamoiseau voit l’écrivain comme «un marqueur de paroles». Ou «marqueur» de silences. Ces silences assassins de l’Histoire bien loin de mériter son «H» majuscule.

D’aucuns parlent de Patrick Chamoiseau comme du digne héritier d’Aimé Césaire et d’Edouard Glissant. Il l’est, certes, de par son talent et son regard sur le monde. Mais son regard est merveilleusement singulier et ses prédécesseurs auront eu pour lui autant d’admiration et de respect qu’il en a eu pour eux.

L’eclavage? Oui, ces grands écrivains revisitent la blessure assassine du peuple Noir. Sans pathos. Sans condescendance non plus. Et de façon d’autant plus admirable qu’ils élaborent une identité transidentitaire, au creux de la blessure, comme aimait à le dire Aimé Césaire. Une identité de le blessure retraduite grandeur. D’une lancinante amnésie furieusement excavée des tréfonds de terres grosses meurtries de cris ensevelis. De façon d’autant plus admirable qu’ils ont fomenté au creux de cette blessure une sublime, salvatrice, ode à la diversité. Une diversité qui accueille, une culture-monde qui va à la rencontre de l’autre sans se départir de ses chants.

Si Aimé Césaire a été et restera, «hors toute constellation», le poète portefaix de la «Négritude», sublimée, par-delà l’amnésie d’une origine zéro de l’inconcevable; si Edouard Glissant a été et sera toujours incomparable voix d’un «Sel Noir» qui invoque et convoque le monde; Patrick Chamoiseau est le conteur qui interpelle, par la légende, le mythe, une voix souterraine qui s’élève dans la nuit, trace la voie à une ère nouvelle de la «créolité». Un chant universel de souffles tressés.

Né en 1953 à Fort-de-France, Patrick Chamoiseau est diplômé de droit et d’économie et a exercé en Martinique comme éducateur social auprès du tribunal pour enfants. Il écrira la Chronique des sept misères, en 1986, et Solibo le magnifique, en 1988, avant son célèbre Texaco qui obtiendra, en 1992, le Prix Goncourt. Et ce, sans compter avec ses multiples essais d’«Eloge de la créolité». En 1989, il livrera ainsi au monde ses Lettres créoles et initiera une réflexion avec Raphaël Confiant et le linguiste Jean Barnabé.

Eloge de la diversité, dans la fête des langues et des cultures. Oui, les poètes changent le monde quand le monde sait les écouter. Les habitants de Fort-de-France, notamment, vous diront, les yeux fiers embués d’émotion et de fierté, que leurs poètes auront réussi à restituer sa dignité à un peuple spolié. Qui va désormais la tête haute.

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