— Par Max Dorléans du GRS —
Une polémique s’est récemment développée en France à partir de propos tenus par l’ex-footballeur professionnel Lilian Thuram sur la question du racisme anti-noirs et anti-arabes. Racisme anti-noirs et anti-arabes, sont-ils le symétrique de ce que certains nomment « racisme anti-blancs » ?
La chose est bien connue chez nous. Il suffit qu’un martiniquais (noir), pointe par exemple, en réunion de travail (surtout dans une réunion de direction et de cadres d’administration ou d’entreprises où l’immense majorité des présents sont blancs (métropolitains ou békés) – un problème particulier de vision du quotidien, ou porte une appréciation identitaire et/ou historique (colonialisme, question béké et rapport de classe et d’inégalités sociales, énoncé d’un comportement ou discours méprisant, arrogant ou condescendant d’un chef blanc…) pour expliquer une situation ou un phénomène, pour se voir aussitôt taxer d’« anti-blanc », de raciste primaire, de révolutionnaire ou d’anticolonialiste, de xénophobe, quand bien même il s’agirait d’un vrai partisan du système en place, d’un démocrate ou d’un humaniste sincère et clairvoyant .
Ainsi, dans le monde d’aujourd’hui, dans la France et l’Europe actuelles, évoquer en étant soi-même noir ou arabe, le racisme anti-noirs et anti-arabes, conduit presque inévitablement sinon fatalement, à se voir taxer par certains blancs, de « raciste anti-blanc », d’écorché vif et complexé, de frileux, d’ultra susceptible, dès lors qu’il est fait état ou dénoncé un racisme et des pratiques racistes bien réels, à l’origine de vraies souffrances, de vraies douleurs et de réels complexes.
Et de fait, de victime historique et toujours contemporaine de l’esclavage et du colonialisme s’agissant de nous autres martiniquais, le descendant de peuples esclavagisées d’aujourd’hui, se trouve accusé et sommé d’entendre qu’il fait preuve du même racisme à l’endroit des « blancs », que celui qu’il condamne.
En somme, à racisme anti-noirs, il répond par un « racisme anti-blanc ». Comme si il s’agissait de « racismes » équivalents.
En réalité, il n’existe qu’un seul racisme. C’est celui créé par ceux qui, historiquement, au nom de la supériorité énoncée et nécessaire pour leur entreprise de colonisation, de la « race blanche », ont détruit et anéanti des sociétés humaines différentes des leurs, pour leurs seuls intérêts. Et si par ailleurs, il existe de nos jours (comme hier), dans nos sociétés coloniales et postcoloniales, un racisme effectif déplorable entre membres de nos communautés, il en est le produit dérivé, le produit mortifère car diviseur, et le résultat d’une vraie aliénation. Car il reproduit le même système de dénigrement, de hiérarchisation et de classement, avec pour fonction de discriminer l’autre plus noir que soi, par intégration de l’idée d’une prétendue supériorité de la race blanche.
Ce racisme est avant tout un système de domination, une construction humaine et sociale, réalisée pour la domination de groupes sociaux et d’États à leur service, visant la relégation d’autres peuples, classes et groupes sociaux qualifiés de races et d’individus inférieurs.
C’est donc ce racisme réel, qui a permis et justifié la domination et l’exploitation, la violence, le pillage, le vol, la soumission…à l’origine de l’enrichissement et du développement des sociétés européennes et occidentales, qui a ouvert la voie au colonialisme et au capitalisme, et de nos jours à la domination capitaliste mondiale par une minorité d’états, après l’intermède immonde du stalinisme, antithèse du socialisme.
Et ce racisme, avec l’actuelle mondialisation capitaliste qui a « mis en relation » les peuples et les états au profit d’une minorité, il suinte dans tous les pores de l’ensemble des sociétés dominantes, ainsi que dans celles où la domination coloniale actuelle ou d’hier, perdure.
En réalité, à regarder lucidement et objectivement les choses, le concept de « racisme anti-blanc » a été la réponse défensive de certains, en riposte au discours dénonciateur du racisme concret subi par les peuples devenus, du jour au lendemain, des peuples violentés, exterminés, mis en esclavage, « déchus » de leur qualité d’humains, qualifiés de sous-humains et rangés (un moment) dans la catégorie des meubles, de peuples « sans histoire »…
Rappelons nous qu’il y a peu, en 2007, c’est Sarkozy qui poursuivait cette même entreprise de mépris en déclarant à Dakar que « l’homme africain n’est pas rentré dans l’Histoire ».
Dès lors, disqualifier et dénigrer celui qui dénonce le racisme qui s’exerce quotidiennement – dans le dit comme dans le non-dit -, c’est faire preuve d’un aveuglement coupable ou d’une incompréhension maladive du réel colonialiste, d’une méconnaissance de l’histoire de la violence coloniale et de la traite négrière qui, depuis les 14ème et 15ème siècle, n’ont servi que les intérêts de royaumes européens essentiellement, et que de nos jours encore, on paie au prix fort, avec ce racisme mortifère qui a fait le lit du colonialisme, puis du capitalisme.
Un prix, comme me l’avait très justement dit il y a 30/40 ans, un camarade français de la Ligue communiste révolutionnaire, qu’aucun blanc ne connaitra ni ne vivra dans sa chair, en dépit de toute la solidarité et de toute la compréhension du phénomène qui peuvent être siennes. En l’occurrence, il n’endurera jamais les contrôles policiers et autres au faciès, ni non plus les discriminations à l’embauche, au logement…
Avec la crise mondiale actuelle et les difficultés grandissantes (chômage, pauvreté, précarité…) que rencontrent toujours davantage les peuples et les salarié/es, avec de nos jours le caractère inaudible des réponses émancipatrices avancées par les mouvements révolutionnaires et radicaux aux échelles aussi bien nationale que mondiale, avec la montée des courants de droite extrême et d’extrême droite, le racisme s’incruste malheureusement chaque jour dans l’ensemble des sociétés.
Pourtant, bien que distillé au quotidien, le racisme – comme la xénophobie – n’est pas une fatalité. De même qu’il a été construit pour les intérêts de quelques-uns, il peut et doit être déconstruit.
Le combattre est une nécessité pour y mettre un terme, et ne pas en 2019 et après, se laisser enfermer dans des divisions qui ne servent que ceux qui nous exploitent et dirigent la société. C’est le sens de notre combat pour notre émancipation, pour une autre société, pour un autre monde.
Max Dorléans (Groupe Révolution Socialiste)