A propos de Richard-Viktor Sainsily Cayol
— Par Maryse Condé —
Richard-Viktor Sainsily Cayol, créateur-protéiforme, tantôt peintre, tantôt sculpteur, est lié à moi écrivain par le fil d’une parabole magique. Nous caressons tous les deux le même grand vieux rêve qui a hanté tant d’artistes caribéens au cours de plusieurs années. Nous voudrions que la création soit plurielle, pluridimensionnelle, c’est-à-dire que plusieurs arts s’épanouissent dans l’intimité du même individu et se traduisent presque malgré lui par des
expressions diverses et différentes.
Nous nous sommes rencontrés à deux reprises mémorables. D’abord, alors que je le connaissais très peu, il s’est emparé de l’héroïne d’un de mes romans, Tituba, mi-femme, mi-sorcière, que je croyais solidement ancré dans la seule tradition littéraire. Il lui a donné des formes plastiques et par conséquent une vie nouvelle, indépendante de moi. Ensuite nous nous sommes rencontrés à la Désirade, Désirada, l’îlot cher au cœur des marins de Christophe Colomb qui voyaient se lever une nouvelle aube d’espoir et qui est aujourd’hui un lieu secret et préservé. C’est lui qui a sculpté La Liseuse, statue qui orne la cour du collège qui porte mon nom. J’aime qu’au lieu de visage il ait donné à cet objet les traits d’un masque Bambara ou peut-être Baoulé ou peut-être Fanti ou Fon. Qui va savoir avec certitude ? Qui osera se prononcer ? Le mystère reste entier. C’est là tout le prix de cette œuvre singulière et belle, étrangement humaine.
Quels seront nos prochains rendez-vous ? Je ne cache pas que c’est là une de mes pré-occupations. Ainsi je scrute les toiles qu’il présente aujourd’hui, cherchant à m’y trouver ou mieux à m’y retrouver. Cette quête pour narcissique qu’elle soit n’est pas entièrement déçue, car Richard-Viktor Sainsily Cayol peint l’enchevêtrement du monde contemporain avec ses influences diverses. Il mêle la splendeur des racines, comme dirait Pablo Neruda, à la déconstruction qu’apporte la quotidienneté et à l’érosion inévitable d’un futur mal maîtrisé. Certains ne manqueront pas de se demander si ces toiles outrancières par moments, nostalgiques à d’autres, sont caribéennes. La question mal posée est aussi dangereuse car on ne saurait réduire ces compositions à l’expression d’une seule ethnicité si complexe soit elle.
Elles sont l’héritage d’une pluralité d’origines et signifient un lendemain multiple.