Paru le 12 avril 2023
Auteur(s) : Jean-Marie Monnier
Auteur(s) moral(aux) : La Documentation française
Éditeur : La Documentation française
L’essentiel pour comprendre la dette publique : origines, mécanismes, taux d’intérêt, comparaisons internationales…
Extraits :
Le point sur
Depuis près de 20 ans, des crises d’une rare intensité ont fait pénétrer les débats économiques dans le quotidien des européens. En quelques années, le niveau des déficits budgétaires et de la dette publique, ou la politique monétaire de la Banque centrale européenne ont pris une place essentielle dans les déterminants des choix publics. Or, après la crise des dettes publiques des années 2010, les soubresauts des années 2020 obligent les gouvernants à chercher de nouvelles réponses dans un contexte de plus en plus complexe…
Les réponses publiques aux crises ont changé
Au tournant des années 2010 puis au début des années 2020, les nations européennes ont été confrontées à deux crises majeures provoquées par des chocs externes. Dans le premier cas, la crise financière et bancaire privée née aux États-Unis a gangrené l’ensemble de la planète provoquant une très forte récession. Dans le second cas, on observe une récession du même ordre, mais consécutive à la décision indispensable des gouvernements d’arrêter l’activité économique pour limiter la propagation de la pandémie de Covid-19 et la crise sanitaire qui s’en est suivie.
En France, ces deux chocs ont causé une chute du PIB courant de 14,9 % en 2009 et de 14,3 % en 2020 et le déficit des administrations publiques s’est élevé à 7,2 % en 2009 et à 9 % en 2020. En conséquence, la dette des administrations publiques est passée de 68,8 % du PIB à 83 % entre 2008 et 2009, et de 97,4 % du PIB à 115 % entre 2019 et 2020, enregistrant des évolutions d’au moins 15 points de PIB à chaque fois.
Des évolutions du même ordre peuvent être observées dans les pays de l’Union européenne (UE). Pourtant, contrairement aux années 2010, et en dépit de certaines craintes, l’aggravation de l’état des comptes publics des années 2020 n’a pas provoqué de nouvelle crise de la dette publique.
Sous la contrainte de ces deux moments de crise, la gouvernance européenne a évolué et semble moins subir les aléas. Mais il n’en reste pas moins que la récurrence des fortes turbulences depuis les années 1980 montre que de nombreux facteurs jouent de manière structurelle dans un sens préjudiciable à la stabilité économique.
La financiarisation de l’économie et le retour des crises
Après la crise du fordisme des années 1970 déclenchée par deux chocs pétroliers qui ont mis un terme à 30 années de croissance forte (les Trente Glorieuses), un renversement dans la régulation a été opéré avec la libéralisation de l’économie mondiale et, en particulier, la déréglementation des marchés de capitaux.
Durant les Trente Glorieuses s’était réalisée une formidable expansion de la production et du pouvoir d’achat
des salariés, soutenue par une coordination active entre politique budgétaire et politique monétaire. Dès le début des années 1980 s’engage, sous l’influence des idées libérales professées par Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux États-Unis, la dérégulation économique, l’État étant dès lors réputé médiocre gestionnaire de l’économie. Cette dérégulation touche en particulier les marchés financiers, et se prolonge durant les années 1990 et 2000 au cours desquelles les protections mises en place après la crise des années 1930 sont progressivement éliminées. La croyance en la capacité des marchés à s’auto-réguler s’étant répandue aussi bien chez les économistes, les responsables politiques et les investisseurs, le risque de crises est amplement sous-estimé. Celles-ci réapparaissent cependant assez vite et deviennent récurrentes, sous l’influence d’une finance privée dérégulée, et dont l’expansion est démultipliée par des produits et des montages nouveaux, ainsi que par le développement des nouvelles technologies.
Des crises aux nombreuses leçons
Depuis les années 1980, le monde a en moyenne connu un épisode de crise financière tous les 2 ou3 ans. Certains d’entre eux fournissent des leçons dont les enseignements n’ont pas toujours été tirés.
Ainsi en va-t-il des crises de la dette dans les pays d’Amérique latine à partir du début des années 1980. L’une de leurs principales caractéristiques est le rôle central du dollar. La monnaie américaine a en effet souvent remplacé la monnaie locale dans ces pays, y compris dans les opérations d’emprunts intérieurs et extérieurs. C’est le phénomène de dollarisation que connaissent nombre de pays en développement.
Parlons dette
Questionsréponses
Des États riches très endettés ?
Un endettement comparable à l’après-guerre, avec des différences En moyenne, les 7 pays les plus riches (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada) étaient aussi endettés en 2015 qu’en 1950. Mais le prix Nobel d’économie Paul Krugman signalait que la moyenne dissimulait d’importants écarts (New York Times). En 1950, la dette publique du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni dépassait 90 % du produit intérieur brut (PIB). Celle des 4 autres pays était inférieure à 50 % du PIB (source : FMI).
En 2015, les plus endettés étaient l’Italie et le Japon, à plus de 150 % du PIB. En Allemagne le ratio était revenu à 70 %, et était égal ou supérieur à 90 % pour les 4 autres.
Le tournant des années 1980
Le financement des déficits publics par création monétaire a alors été remplacé par le recours à l’emprunt sur
les marchés financiers. Simultanément, a éclaté une crise qui a interrompu trente années de croissance et installé un chômage de masse durable. Les déficits publics se sont creusés et la finance privée a énormément gonflé.
Des crises communes mais des trajectoires nationales
En 2007, les pays riches étaient déjà très endettés. Ils ont tous subi entre 2008 et 2022 deux crises majeures. Cela a accru leur endettement de 40 points de PIB au minimum, sauf dans le cas de l’Allemagne. Elle a profité d’un commerce extérieur florissant pour consolider sa situation budgétaire grâce aux recettes fiscales.
À quoi servent les taux d’intérêt ?
Ce sont les prix des marchés du crédit Ils permettent l’ajustement de l’offre et de la demande de fonds prêtables. Les prêteurs en tirent une rémunération. Ils exigent aussi des garanties de leurs débiteurs, par exemple une caution ou une hypothèque pour un prêt immobilier.
Dans le cas de prêts à des États en difficulté, si des garanties sont demandées elles prennent la forme de réformes structurelles. La garantie est la condition nécessaire du crédit, le taux d ’intérêt est la condition suffisante.
En temps normal le risque accélère la hausse des taux d’intérêt Si les investisseurs pensent qu’il y a un risque de défaut de paiement d’un État, ils ne prêtent qu’en contrepartie d’un surcroît de rémunération. Cette surprime de risque majore les taux d’intérêt. En outre, comme l’avenir lointain est incertain, les taux d’intérêt à moyen et long termes sont normalement plus élevés qu’à court terme.
L’activité économique dépend du taux directeur
Les banques commerciales doivent toujours pouvoir emprunter sur le marché interbancaire pour préserver
leur liquidité. Elles fixent donc le taux d’intérêt des crédits à leurs clients au-dessus du taux de ce marché. Lorsque la BCE modifie son taux directeur cela modifie les taux des crédits des banques commerciales. La BCE influence ainsi directement la consommation et l’investissement.
La BCE fixe trois taux d’intérêt
Le taux directeur est le taux auquel les banques commerciales obtiennent des liquidités pour une semaine auprès de la BCE.
Le taux de facilité de prêt marginal est payé à la BCE quand les banques commerciales ont un besoin urgent de liquidités pour 24 heures. Il est plus élevé que le taux directeur.
Lorsque les banques commerciales ont un excès de liquidités elles peuvent les placer auprès de la BCE pour 24 heures et perçoivent un taux plus faible, de facilité de dépôt.
En pratique le taux interbancaire devrait fluctuer dans un corridor avec le taux de facilité de dépôt comme plancher et le taux de facilité de prêt marginal comme plafond. Ces dernières années le taux interbancaire collait au plancher, ce qui est anormal.
Les crises reviennent-elles ?
C’est un moment dans un cycle économique
Depuis les débuts du capitalisme industriel au xixe siècle, l’activité économique connaît une évolution caractérisée par des cycles dans lesquels les crises marquent le retournement brutal de la conjoncture entre la période de croissance et la phase de récession. À ce moment, la production baisse et le chômage s’accroît. Depuis l’an 2000, l’économie mondiale a traversé trois épisodes de crises dont les deux derniers ont été très violents
.
Des crises aux caractéristiques différentes
Si une crise met au jour de graves dysfonctionnements dans la sphère économique dont les principales structures perdent leur cohérence, elles sont souvent le résultat de chocs. Des chocs de production comme après la pandémie de Covid, des chocs financiers comme après la crise de la finance privée américaine en 2008, ou des chocs sur les prix comme après la hausse des prix du pétrole dans les années 1970. La crise peut être endogène, résultat de désajustements internes au système économique, ou exogène quand par exemple un krach boursier aux États-Unis contamine l’ensemble de l’économie mondiale.
Les crises creusent la dette publique
La lutte contre la récession, pour préserver les entreprises du risque de faillite, et l’activation de dispositifs de maintien du pouvoir d’achat des ménages déstabilisent brutalement les finances publiques que seul l’emprunt parvient à équilibrer.
* Les termes marqués par une astérisque sont définis dans Les mots-clés
page 90. Ils sont marqués à la première occurrence.
Qu’est-ce que le fordisme ?
Ce terme est employé pour qualifier l’organisation de l’économie dominante durant la période des Trente Glorieuses (1945-1975). Elle associe une production de masse, généralement à la chaîne, à une consommation de masse. La protection sociale est véritablement née durant cette période de forte croissance. Celle-ci était soutenue par des politiques publiques très actives.