—Par Maud Vergnol —
La une dessinée par Luz a touché dans le mille. La publication de Charlie Hebdo, hier, a fait voler en éclats l’unanimisme de façade et les hypocrisies politiques. Réactionnaires et intégristes ne manqueront pas d’exploiter ce drame pour tenter de limiter la liberté d’expression.
«Oui, mais… » Les masques sont tombés. La publication de Charlie Hebdo, hier, a fait voler en éclats l’unanimisme de façade et les tartufferies politiques. C’est dire si la une dessinée par Luz, représentant un prophète la larme à l’œil arborant une pancarte « Je suis Charlie », a visé dans le mille, réplique habile aux tentatives d’intimidation et de pression sur la liberté d’expression. Le spectacle indécent du bal des puissants, dont d’éminents fossoyeurs de la liberté de la presse, orchestré dimanche par François Hollande, a repris hier, accueillant fraîchement la publication de l’hebdomadaire satirique. L’État iranien dénonce une couverture « insultante ». « L’abus de la liberté d’expression, qui est répandu actuellement en Occident, n’est pas acceptable et doit être empêché », a fait savoir la porte-parole de la diplomatie iranienne. Le grand mufti d’Égypte s’est quant à lui empressé d’y voir un acte « raciste » en accusant Charlie Hebdo de chercher à attiser « les tensions religieuses et à accentuer la haine ». Si la une représentant Mahomet a été reproduite par de très nombreux médias dans le monde, y compris en Turquie, où le quotidien d’opposition Cumhuriyet a publié une large partie du numéro, elle a été en revanche totalement occultée dans les pays musulmans et aux États-Unis, où les principaux organes de presse ont choisi de ne pas la reproduire. « Est-ce qu’il y aura encore des “oui, mais” ? » interrogeait Gérard Biard dans l’édito de Charlie Hebdo. Le directeur de l’hebdomadaire a eu la réponse hier matin.
Les fanatisations bousculent l’édifice de la liberté d’expression
« Ça va mettre de l’huile sur le feu », a osé le président de « l’Observatoire contre l’islamophobie », Abdallah Zekri. « Je ne veux pas être désobligeant avec ces journalistes mais ils continuent la provocation (…) Mahomet, Mahomet, toujours Mahomet… Il est mort il y a quinze siècles ! » confie-t-il au Figaro, affirmant avoir reçu « beaucoup de réactions de musulmans qui sont indignés ». En creux, derrière tous ces « oui, mais », il faudrait limiter la critique des religions au nom du respect qui leur serait dû pour les fonctions qu’elles assurent dans la société et qui peuvent favoriser l’intégration. Mais la liberté d’expression, poumon de la démocratie, ne se négocie pas, comme le rappelle dans nos colonnes l’écrivain et cinéaste Gérard Mordillat, qui appelle à « rompre avec la culture de l’offense » (lire page 10). Les mouvements de fanatisation bousculent depuis plusieurs années tout l’édifice de la liberté d’expression. En France, des croyants de toutes les religions tentent de faire interdire des films, des pièces de théâtre ou des livres… En 1991, Mgr Lustiger demandait la pénalisation de publications antireligieuses au nom du « respect d’autrui » quand le député UMP Éric Raoult proposait en 2006 le rétablissement du délit de blasphème. Alors a-t-on pour autant le droit de tout dire ? C’est la question qui taraudait hier les réseaux sociaux après l’interpellation de l’ancien humoriste Dieudonné, spectaculairement mise en scène. Au-delà des déjections antisémites nauséabondes, beaucoup disent ne pas comprendre que Charlie Hebdo soit salué pour sa liberté de ton quand, dans le même temps, Dieudonné est poursuivi pour « apologie du terrorisme » après s’être revendiqué « Charlie Coulibaly », l’homme qui avait pris les clients d’un supermarché casher en otages et avait tué quatre d’entre eux. Et la confusion de s’installer : jusqu’ou peut-on aller ? La liberté d’expression a-t-elle des limites ? Eh bien la législation française, héritée de la Révolution, est assez claire sur le sujet. « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi », énonce l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Les principales limites à la liberté d’expression en France relèvent de deux catégories : la diffamation et l’injure, d’une part ; les propos appelant à la haine, qui rassemblent notamment l’apologie de crimes contre l’humanité, les propos antisémites, racistes ou homophobes, d’autre part. C’est dans ce cadre que Dieudonné est poursuivi pour « apologie du terrorisme ». Un délit qui peut être puni d’une peine allant jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Elle peut être portée à sept ans et 100 000 euros si les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne, depuis la loi du 14 novembre 2014…
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Jeudi, 15 Janvier, 2015 L’Humanité Quotidien