— Par Hélène Lemoine —
Le 5 janvier 2025, le Palais Garnier, l’un des monuments les plus emblématiques de Paris, fête ses 150 ans d’existence. Inauguré en grande pompe en 1875, ce chef-d’œuvre architectural a traversé les siècles, porteur d’une riche histoire où se mêlent grands événements, héritage culturel et mythes intemporels. Véritable institution de la scène lyrique et chorégraphique, il demeure un symbole vivant de l’art et de la culture française, un lieu où se côtoient l’imaginaire collectif et la réalité historique.
Un monument né de l’ambition impériale
Le projet de construction du Palais Garnier trouve son origine dans une période de bouleversements politiques et sociaux en France. Sous le règne de Napoléon III, l’Opéra de Paris, qui occupait la salle Le Peletier, avait été le théâtre de plusieurs événements marquants, notamment l’attentat de 1858 contre l’empereur et l’impératrice Eugénie. Ce drame, dans lequel plusieurs personnes perdirent la vie, incita Napoléon III à envisager la construction d’un nouvel opéra, plus moderne et plus sûr. Par ailleurs, l’Empire souhaitait offrir à la capitale un monument digne de son rayonnement culturel, à la hauteur de ses ambitions.
C’est dans ce contexte que naquit le projet de l’Opéra Garnier, avec l’architecte Charles Garnier, alors âgé de 35 ans, comme maître d’œuvre. Le concours lancé en 1860 pour la création d’un « palais impérial de la musique et de la danse » fut remporté par Garnier, qui proposa une vision audacieuse mêlant styles baroque, classique et Renaissance. Son projet se distingue par une majesté rare, avec des éléments architecturaux innovants et des techniques de construction avant-gardistes. Parmi celles-ci, l’une des plus notables est la création d’un lac souterrain, destiné à stabiliser le bâtiment sur un sol marécageux. Garnier, sans le recours aux technologies modernes d’aujourd’hui, résolut ce problème par une ingénieuse cuve étanche, une prouesse technique qui témoigne de son génie.
Le chantier fut long et tumultueux, interrompu par la guerre de 1870 et la Commune de Paris, puis par un terrible incendie en 1873 qui ravagea le bâtiment de l’Opéra Le Peletier. Enfin, après 15 années de travaux, le Palais Garnier fut achevé et inauguré le 5 janvier 1875, en présence du Président de la République Patrice de Mac Mahon et de nombreux invités prestigieux venus de toute l’Europe. Ce jour-là, Paris s’enrichissait d’une nouvelle icône, un monument qui allait marquer à jamais l’histoire de la ville et de l’art.
L’Opéra Garnier : une fusion de styles architecturaux
Dès sa conception, le Palais Garnier se distingue par sa grandeur et sa richesse décorative. Charles Garnier, influencé par les styles classiques, Renaissance et baroque, réalise un bâtiment à la fois imposant et raffiné. La façade, ornée de sculptures et de colonnades, évoque la majesté d’un temple antique, tandis que l’intérieur, avec ses marbres polychromes, ses dorures et ses fresques, s’apparente davantage à un lieu de fête et de spectacle. L’architecte a su marier harmonieusement l’art de la construction avec celui de la décoration, créant un espace où le grandiose et le raffiné se rencontrent à chaque coin.
L’élément le plus spectaculaire de ce lieu est sans doute le Grand escalier, un chef-d’œuvre de marbres multicolores qui conduit le public vers la grande salle. Cette salle, dite « à l’italienne », possède un plafond monumental et une scène géante qui accueille chaque année des productions lyriques et chorégraphiques exceptionnelles. L’Opéra Garnier, avec ses 1 979 places, est ainsi un espace à la fois propice à l’intimité et à l’émerveillement. Il incarne un lieu de pouvoir, de spectacle et de rencontre, un endroit où l’on venait « voir et être vu », comme le soulignent souvent les guides lors des visites.
Les légendes et mystères du Palais Garnier
Au-delà de son architecture et de son rôle culturel, le Palais Garnier est également un lieu chargé de mystères et de légendes. La plus célèbre d’entre elles est sans doute celle du « Fantôme de l’Opéra », popularisée par le roman de Gaston Leroux. Cette fiction, bien qu’imaginée, s’inspire de plusieurs éléments réels du lieu : les sombres sous-sols, le lac souterrain et les nombreux accidents qui se sont produits dans ce bâtiment au fil des ans. L’histoire du Fantôme, un personnage solitaire et défiguré qui hante les coulisses et poursuit une jeune cantatrice, est née de rumeurs et de faits divers tragiques, comme l’effondrement du lustre en 1896, qui fit plusieurs blessés. Le Palais Garnier, par ses recoins secrets et son atmosphère un peu gothique, a depuis longtemps alimenté l’imaginaire collectif.
Une autre légende, moins connue mais tout aussi fascinante, est celle de la « marche de la danseuse ». Selon cette histoire, une ballerine serait tombée d’une grande hauteur, se tuant sur une marche particulière de l’escalier principal. Bien que cet accident ne soit pas confirmé par les archives historiques, la marche, légèrement décalée, fait aujourd’hui partie des nombreuses anecdotes qui entourent le Palais Garnier. En outre, une tradition mystérieuse veut que les spectateurs touchent les pieds des torchères à l’entrée du grand escalier, pour se garantir de revenir un jour à l’Opéra, un geste qui relève autant du folklore que de la superstition.
150 ans de splendeur artistique
Depuis sa création, le Palais Garnier n’a cessé d’être un lieu de rassemblement pour les amateurs d’art lyrique et de danse. Chaque année, près de 350 000 spectateurs viennent y assister à des spectacles de grande envergure. Le Palais est resté au cœur de la vie culturelle parisienne, même après l’ouverture de l’Opéra Bastille en 1989, qui a apporté une nouvelle salle pour les représentations lyriques. Aujourd’hui encore, le Palais Garnier accueille les plus grandes productions d’opéra et de ballet, tout en conservant son rôle central dans la programmation artistique de l’Opéra National de Paris.
Cet anniversaire des 150 ans n’est pas seulement l’occasion de célébrer l’histoire du bâtiment, mais aussi de mettre en lumière son rôle dans le monde artistique d’aujourd’hui. Tout au long de l’année 2025, un programme riche d’événements permettra au public de redécouvrir ce lieu mythique : un gala anniversaire exceptionnel retransmis en direct, des concerts, des expositions, des documentaires sur les coulisses du Palais, des résidences d’artistes et des visites guidées thématiques. Des événements qui offriront à chacun l’opportunité de plonger dans les multiples facettes de cet édifice, tout en honorant son patrimoine et son héritage artistique.
Le Palais Garnier, bien qu’intimement lié à l’histoire de la culture parisienne, a su évoluer et se renouveler sans perdre son âme. Il demeure un lieu vivant, un théâtre où le passé et le présent se rencontrent, un espace où l’émotion et l’art se conjuguent dans une parfaite harmonie. Un lieu d’émerveillement, de mystère et de beauté, qui, 150 ans après sa création, continue de captiver le monde entier.