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« Fraternité, conte fantastique », de Caroline Guiela Nguyen.

—Par Dominique Daeschler —

Avignon

Caroline Guiela Ngueyn fait partie de cette relève, en grande partie féminine, que met en valeur le festival cette année : des femmes qui e fichent des codes, multipliant les formes, réinventant une autre façon d’écrire et une façon d’être au plateau, jouant le nous du groupe plus que le je, inscrivant leurs créations en plusieurs volets ( Anne(Cécile Vandalem). Fraternité conte fantastique est le second volet d’un cycle ( premier volet un court métrage » Les engloutis ») qui sera suivi de l’Enfance et la Nuit en 2022 à la Schaubühne de Berlin.
Après les blessures du colonialisme ( Saïgon), le travail avec les détenus de la maison d’arrêt d’Arles ( comment on retrouve une vie quand on sort), Caroline Guiela Nguyen s’attaque à la disparition en tant qu’absence faite de déni, d’espérance et de réinvention. Après un cataclysme, ne restent en piste que quelques humains acharnés à ne pas oublier leurs souvenirs et les absents. Ils retrouvent , tous âges confondus, dans un centre de consolation, où l’on invente et rêve des moyens d’entrer en contact, où l’on oscille entre la résilience, la résignation, attendant le miracle du retour, lors d’éclipses.

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« Kingdom », m.e.s. d’Anne-Cécile Vandalem

Avignon

Dernier volet d’un triptyque dont les deux premiers -Tristesses, Arctique – ont été joués au Festival, Kingdom termine les récits dans le grand Nord d’Anne-Cécile Vandalem. Si le premier volet était consacré à un étouffant huis clos politique, le second au désastre climatique, le dernier Kingdom, se demande quel monde pourront imaginer les enfants demain, à partir des désastres écologiques, des bouleversements politiques et des rêves avortés des parents ? Que peuvent-ils espérer ? comment vont-ils réinventer ?

Une famille s’installe dans la taïga sibérienne pour fuir la civilisation et vivre un rêve communautaire. Chacun doit entrer dans l’histoire racontée par le chef de clan, démontée peu à peu, au fil du mélange des propos de chacun ? un documentaire de clément Cogitore sur les utopies et l’a vie en autarcie d’une communauté sibérienne est la trame de l’adaptation d’Anne-Cécile Vandalem. Au départ, la faille semble vivre une vie paisible, où chacun vaque à ses occupations où les jolies têtes blondes se partagent entre jeux et chants.

Besoin de conflits ? Problème de territoire et reconnaissance de la différence de l’autre ?

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« La Cerisaie », m.e.s. de Tiago Rodrigues

Avignon

C’est un truc de gosse. J’aime bien commencer le Festival d’Avignon avec le spectacle en cour d’honneur du palais des papes. Parce que les murs sont grands comme ceux d’une prison et qu’il y a toujours des oiseaux qui volent : alors il y a de l’espoir , on peut faire théâtre et partager une histoire.

Tchekhov et sa dernière pièce La Cerisaie, un metteur en scène portugais Tiago Rodrigues, directeur du théâtre national de Lisbonne, promu à la future direction du Festival, une comédienne vedette Isabelle Huppert , autant d’éléments qui savent dresser un argumentaire alléchant. Et c’est le choc d’un plateau empli de chaises vides grises et rouge, alignées en rangs sages, face au plein de la salle, quelques lustres accrochés à des lampadaires mobiles ajoutent à la curiosité. Comment les comédiens vont-ils jouer, dans ces corridors, ces rails, comment parler entre les lignes ? Ils surgissent, disparaissent comme des voyageurs en attente du départ, s’observant de quai à quai. Chacun semble isolé dans un territoire mental différent : il va falloir vendre la propriété de famille, cette cerisaie où chacun a des souvenirs différents.

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Festival d’Avignon, du côté du Off

— Par Dominique Daeschler —

Lettre d’une inconnue.
C’est bizarre l’écriture.
Guérillères ordinaires.
Visions d’Eskandar.
Le cabaret des absents.
Sans effort.
Concerto pour deux clowns.
Les présidentes.
La collection.

L’absence, l’oubli, la disparition, le chaos, la quête identitaire sont au rendez-vous du Festival d’Avignon avec un goût pour le monologue, l’approche documentaire et le témoignage. Un règne provisoire d’un « ici-maintenant » qui peut être source de malentendus, de violence comme de fraternité.

Une place importante est donnée aux écritures contemporaines. On y reconnaîtra les chouchous des institutions culturelles : Magali Mougel, Pauline Sales, Samuel Gallet, Rémi de Vos, Pauline Peyrade, Sylvain Levey, Marion Aubert… avec parfois de jolies prises de risque.

Théâtre des 3 raisins. Lettre d’une inconnue. Cie fées et gestes.

Un lit à baldaquin, comme une île, un ultime refuge, comme unique décor et une comédienne qui profère, susurre lettre d’une inconnue de Zweig. Ce texte d’homme, écrit à sa gloire est pris à bras le corps par Esther Candaes. Elle en garde la précision des rencontres fugitives d’un amour fou et, chose rare, elle en développe ce qui irradie, ce qui est joie profonde.

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Mois kreyol : un festival résistant malgré les restrictions

— Par Dominique Daeschler —
Cette quatrième édition (29 oct-28 nov) axée sur l’écologie et les luttes sociales s’est vue tronquée, covid oblige, de représentations, gardant avec l’évolution des mesures, tables rondes et ateliers.
C’était aussi les 25 ans de la compagnie Difé Kako, conceptrice et organisatrice de ce festival : l’occasion de rencontrer sa directrice, danseuse et chorégraphe, Chantal Loial.

D Daeschler : Comment avez-vous vécu ce réajustement permanent avec notamment des spectacles en ligne ?
Chantal Loial : Avec l’envie encore plus forte du partage. De fait, sur la région parisienne, nous avons pu, grosso modo, respecter notre programme les trois premières semaines d’octobre : l’exposition photographique des 25 ans de Difé Kako, les contes pour enfants (Ymelda Marie-Louise, Valère Egouy, Eric Lauret), le concert de l’orchestre Dokonon de Guyane mais malheureusement pas celui de notre parrain Tony Chasseur… La compagnie n’a pû jouer qu’une seule fois son dernier spectacle « Cercle égal demi-cercle au carré) Une partie du travail commencé sur le patrimoine immatériel des Antilles(films) a été repoussé même si le spectacle sur le quadrille a vu le jour. De même la programmation pour Strasbourg et Bordeaux a été repoussée.

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Saline d’Arc et Senans : deux expositions majeures sur le cirque croisent poésie et histoire

— Par Dominique Daeschler —

Présentée dans la grande berne ouest du Centre de Rencontre d’Arc et Senans, l’exposition Le cirque Plume : l’éternité du saut périlleux, conçue par son directeur artistique Bernard Kudlak n’a rien d’un parcours didactique, chronologique ou nostalgique. Dans une joyeuse zizanie poétique, se mêlent photos (et quels photographes !), captations de spectacles, costumes, dessins et petites phrases.

Tracer le cercle, omniprésent dans toutes les mythologies c’est parler des mondes, entrer dans un rituel, dans un schéma cosmologique (cf. Mircea Eliade). Kudlak a conçu l’exposition comme un « poème en actes » où l’humain a la première place : « le spectacle du cirque Plume est fait par des vivants, pour des vivants. Il est joyeux, coloré, profond, poétique, sale, brouillon, extrêmement précis… Il est comme la vie : en sauts périlleux sur des vélos, en souffle sur des rayons de lumière, en invention sur des musiques, en équilibre sur des plumes. Créé en 1989, Plume a apporté au cirque la liberté du vent qui s’insinue, emporte les graines, joue de la brise avec la pluie qui crachote. Avec leur « métier » (trapéziste, jongleur, fil de ferriste…) chaque artiste entre dans une histoire qui a un nom et se déroule, comme au théâtre avec l’impérieuse nécessité d’un collectif soudé et du regard de l’autre.

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Josette Coras : Chemins de traverse. Carnets d’une artiste buissonnière

Josette Coras (1926-2008) nait dans une famille jurassienne bourgeoise ouverte aux arts. Très tôt elle fait preuve d’une grande activité créatrice, décide de devenir dessinatrice et commence parallèlement à écrire. L’après-guerre la trouve à Paris où elle fréquente l’atelier de la Grande Chaumière et se forme à la gravure à l’École Estienne.

En 1950, de retour dans le Jura, elle achète le logis abbatial de l’abbaye de Baume-les-Messieurs qu’elle restaure et ouvre à ses amis artistes et artisans, parmi lesquels le groupe des Annonciades, organisant chaque année une exposition.

En perpétuelle recherche elle multiplie les techniques : dessin, peinture, papier déchiré, décor sur faïence et enfin gravure dont elle tire de poétiques statues.

Pendant 50 ans elle arpente la reculée et les paysages environnants, sources d’inspiration et de réflexions.

Le livre : Chemins de traverse Carnets d’une artiste buissonnière

Dominique Daeschler et Sylvie Roy Lebreton ont travaillé pendant plus de trois ans sur une partie du journal de l’artiste, écrit sur des cahiers d’écolier pendant une quarantaine d’années. La qualité d’écriture qu’elles ont découverte les a convaincues d’en faire un livre, en choisissant de extraits réunis de façon thématique.

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Le droit d’asile à l’épreuve de la crise sanitaire

Entretien avec Maître Matthieu Perdereau. Propos recueillis par Dominique Daeschler

Si la crise sanitaire nous a questionnés sur le respect des libertés publiques et individuelles dans un Etat démocratique, elle a renforcé des prises de positions politiques sur un contrôle de l’immigration dans une nostalgie d’un monde fermé, localiste.

Quelles conséquences de la crise sanitaire sur l’accueil des migrants ? Nous avons souhaité aborder avec Maître Matthieu Perdereau, avocat au barreau de Paris, membre d’ELENA France, association d’avocats praticiens du droit d’asile, les incidences que la pandémie a pu avoir sur les droits des demandeurs d’asile.

Une économie à l’arrêt, une population confinée : dans quelle situation se sont retrouvés les demandeurs d’asile ?

Maître Matthieu Perdereau. Face au confinement, à des administrations au point mort et à des juridictions en berne, le gouvernement a rapidement pris des mesures pour prolonger les documents de séjour des étrangers comme les attestations des personnes dont la demande d’asile est en cours d’instruction.

Ceux qui n’avaient pas eu la possibilité de faire enregistrer leur demande auprès de l’administration préfectorale avant les mesures de confinement ont fait face à de plus grandes difficultés.

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Soigner le corps et les murs : des graffeurs sénégalais au service de la lutte contre la covid 19

— Par Dominique Daeschler —

La Fondation Dapper avec ses derniers nés, des e-books à télécharger gratuitement sur son site, poursuit sur un mode plus ludique, plus directement accessible aux jeunes via smartphone et WhatsApp, la promotion de l’art contemporain africain. Dernière parution en ligne, « Le graffiti pour sauver des vies » qui valorise à la fois l’engagement des artistes graffeurs sénégalais au service du coronavirus et la volonté de la Fondation de présence au monde d’aujourd’hui pendant la pandémie.

L’ouvrage édité sous la direction d’Aude Leveau Mac Elhone, illustré par de nombreuses photos d’œuvres et d’artistes, se compose d’un historique sur le développement du graffiti, d’interviews et de présentations d’artistes et de collectifs, mettant particulièrement en exergue son rôle dans les rapports sociaux et dans sa façon d’aborder les problèmes de santé publique. Le propos tenu est clair et rigoureux, dans la lignée des livres d’art édités par Dapper. L’autrice s’est mise « au service de » : pas de discours redondant ou sentencieux mais une volonté d’entrer dans le vif du sujet en privilégiant le descriptif et la parole recueillie. A notre tour, écoutons – la.

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Foire bruxelloise du livre : T’as voulu voir Paris et tu as vu Bruxelles…

— Par Dominique Daeschler —

Paris annule son salon (Livre Paris), Bruxelles le maintient (du 5 au 8 mars) avec peu de défections de visiteurs et d’auteurs : 60 000visiteurs, 1050 auteurs, 300 rencontres.

Placée sous la triple égide d’Alessandro Baricco, Leila Slimani et Liao Yiwu, avec le Maroc comme invité d’honneur, cette foire du livre gratuite, dans des bâtiments industriels réhabilités « nickel chrome » est bon enfant. Un peu de gel antibactérien obligatoire à l’entrée et nous voilà partis en cheminement curieux …Facilité de déplacement sans agression sonore, un petit air de promenade familiale.

Tellement de livres ! Tellement d’éditeurs ! une mention spéciale à l’édition pour enfants (en force) avec le talent belge côté images et québécois côté texte (avec humour et sans ambages, une approche fine des pré-ado). Fuyant les auteurs à champagne, les parutions déjà sacrées par les médias, nous chaussons nos bottes pour nous rendre sur l’un des sept lieux d’échanges et d’ateliers : Place de l’Europe.

Politique- f(r)ictions avec Alexandra Schwartzbrod, Diane Ducret, Alain Lallemand : la corruption politicienne et l’aveuglement de nos opinions.

Voilà trois auteurs, trois livres qui arrivent en fanfare pour nous parler de l’état de notre monde entre conflits et lâcheté.

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L’Outre-mer enchante Avignon du 19 février au 18 avril

Rencontre avec Isabelle Dimondo

— Par Dominique Daeschler —

Isabelle Dimondo, directrice d’Avignon Bibliothèques instigatrice et cheville ouvrière de « l’Outremer enchante Avignon », nous reçoit dans son bureau de la Bibliothèque Ceccano entre affiches, pile de livres, cartons de livraison du programme.

Action !

D.Daeschler : Comment vous est venue d’inclure, chaque année, une rencontre avec la culture d’un pays ou d’une zone géographique dans la programmation évènementielle des bibliothèques d’Avignon ?

I.Dimondo : Avignon est une ville cosmopolite dont l’histoire est liée à l’immigration (premiers arrivés, les italiens au 19e siècle parler de la culture des Avignonnais c’est parler de cultures multiples et différentes.

DD : Retrouve-t-on dans ce temps fort sur l’Outre-mer un fil directeur commun à tous les projets sur la diversité culturelle ?

ID : Oui, vous allez retrouver dans chaque projet la littérature et la musique. Mais pas que… Pour ce projet spécifique des expositions sur les fêtes, les premiers découvreurs, les animaux, les territoires sont répartis entre les six bibliothèques. La Bibliothèque Ceccano, centrale, accueille celle de l’artiste invité le peintre, performeur Habdaphaï . C’est elle aussi qui accueille les rencontres notamment avec l’écrivaine Suzanne Dracius, le poète Max Rippon, l’illustrateur Alex Godard, l’universitaire Georges Véronique, des projections avec Christiane Salem et Fabrice di Falco musiciens-chanteurs … et sur une scène improvisée Greg Germain.

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Rencontre avec Kheireddine Lardjam, metteur en scène. France-Algérie : la balle au centre !

— Propos recueillis par Dominique Daeschler —

Kheireddine Lardjam, metteur en scène de Désintégration (voir critique) travaille pour son prochain spectacle sur les relations franco- algériennes. Comment en est-on arrivé là ? pour lui qui a fait ses études et ses premières armes de metteur en scène en Algérie, la grille de lecture de la France sur l’Algérie reste figée, dans un déni de l’analyse du « aujourd’hui, maintenant ».
D Daeschler : C’est-à-dire que la relation reste compliquée, complexe ?
K Lardjam : Oui. La jeunesse d’aujourd’hui n’a connu ni la guerre d’Algérie ni la montée du FIS. De plus cette jeunesse est divisée. Entre ceux qui sont nés en France ou en Algérie, n’est pas vécue et racontée la même histoire. L’analyse de Germaine Tillion dans « Des ennemis complémentaires » traduit bien le passé commun entre les deux pays, les différences, l’attachement et son rejet.
DD : Que faudrait-il dire en tout premier lieu ?
KL : Que l’histoire de l’Algérie c’est aussi l’histoire de la France, de la Ve république.
DD : Cela nous conduit au post-colonialisme.
KL : Le problème c’est qu’il a été élaboré à partir d’un seul point de vue alors qu’il nécessitait une confrontation, un échange.

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« Désintégration », texte : Ahmed Djouder, m.e.s. : Kheiredinne Lardjam

— Par Dominique Daeschler —

Ce texte coup de poing joué au festival d’Avignon 2019 et repris en tournée arrive à point nommé pour parler Algérie, colonialisme et « indépendances » entendues comme responsabilités sociétales et citoyennes.
Nourri de l’histoires familiale, Ahmed Djouder qui appartient à la génération des « nés en France », a cherché à retrouver sa part algérienne, à tout remettre en place, pour conjuguer le ici et là -bas sur un mode libératoire.

Lire aussi: Un entretien avec Kheiredinne Lardjam

C’est à cette génération que Djouder donne d’abord la parole, montrant combien son éducation est pleine de référents de là-bas, combien le mode vie familial est différent. Il leur faut assembler les morceaux d’un puzzle. Ils sont comme des arbres qu’on planterait sans racines, confiés, avec la foi du charbonnier à la greffe ou au marcottage. Ils racontent leurs parents avec tendresse, humour et déchirement. Cette conscience d’une « identité flinguée » les conduit à analyser cette peur des désirs ancrée dans la culture des pères et à fustiger les tabous.
Comme logiquement appelée – et c’est talent de mise en scène d’en extraire le sens d’un parcours – surgit la génération qui a participé à la reconstruction de la France.

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Ange Bonello : le parcours d’un artiste tenace et imaginatif

— Par Dominique Daeschler —

En Martinique depuis plus de deux décennies, Ange Bonello dont le verbe fleure bon son midi natal, sort de sa voiture une pile de housses colorées sous le bras.
Dernière idée du plasticien : transposer sur tissu les motifs et thèmes de ses peintures, histoire d’entrer chez vous en douceur, caché derrière un objet quotidien.
D Daeschler : Vous avez coutume d’annoncer de suite que vous êtes autodidacte. Autodéfense ? Provocation ?
A Bonello : je défends un parcours artistique à travers un parcours de vie. Ce n’est que depuis 2012 que je montre mon travail (galerie Colette Nimard). C’est ma première exposition en solo en 2015 galerie Arsenec baptisée « Arches » qui m’a décidé, grâce à son succès public à penser abandonner un métier à plein temps dans la restauration. J’ai pensé qu’une dynamique allait se mettre en place avec la profession, les lieux de diffusion.

Voir le site de l’artiste: Smart Art Angelo Bonello

DD : Ce n’a pas été le cas ?
AB : Non, il y a eu des reconnaissances de personnes qualifiées, des invitations mais j’ai continué ma route en solitaire.

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TOMA : nouvelles missions pour un lieu ouvert à l’année

— Par Dominique Daeschler —

Forts d’une expérience de vingt ans d’accueil des créations ultramarines en Avignon, Marie Pierre Bousquet et Greg Germain, codirecteurs du Toma remettent le canevas sur le métier. Nul doute que les projets expérimentés ou abandonnés ici et là autour des cultures des Outremers n’aient nourri leur réflexion et conforté leur envie d’aller plus loin en partant des atouts De la Chapelle du Verbe incarné (situation et potentiel du bâtiment), d’un travail de dialogue constant avec la ville.
Une étude (bâtiment et missions) financée par le Toma, la ville d’Avignon, le Ministère de l’Outremer explore les possibles d’un projet culturel à l’année offrant une connaissance plus large des cultures ultramarines en tricotant à sa manière les liens entre diffusion-création-formation- pratiques artistiques – territoires et publics.
L’ambition est d’en faire un lieu-ressource qui puisse répondre par la transformation du bâti à la mise en œuvre du projet. Ainsi une maquette, prenant en compte les impératifs du monument, laisse entrevoir une deuxième salle de spectacles (répétitions, résidences de création), une bibliothèque-médiathèque qui, outre des ouvrages, permettra de consulter les archives collectées depuis 1998 sur les créations et les compagnies, des espaces pour conduire des ateliers (actions à l’année envers le jeune public et formation continue en lien avec l’ISTS) , un «studio » pour continuer à construire un  kit de communication (radio, toma-scoop, critiques, blog sur Médiapart…).

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Avignon 2019 : récapitulatif des comptes rendus

Le festival à l’heure des bilans

Le « IN » : faire mentir les fatalités

La 73e édition du Festival d’Avignon s’est achevée pour les spectateurs dans la nuit du 23 au 24 juillet, célébrant d’une certaine manière en aînée les 60 ans du ministère de la Culture, cette utopie réaliste d’un accès égalitaire aux œuvres. Il faudra encore quelques jours à l’équipe du Festival d’Avignon pour terminer, démonter, entretenir, ranger ce grand théâtre. Les histoires individuelles ont raconté la grande Histoire, les spectacles ont dialogué de l’un à l’autre, esthétiquement comme politiquement, dessinant une dramaturgie de la programmation. Des triomphes du Brésil, de Chine, de Russie, de France ou de Grande Bretagne, ont soulevé les salles et nous avons accompagné de nouvelles générations d’artistes accueillis par les spectateurs avec une curiosité passionnée, faisant une fois encore du Festival d’Avignon ce carrefour unique de productions légendaires et d’annonces de demain. Ce public d’Avignon, multiple, divers, fervent, fidèle, exigeant, militant aussi, était présent pour les spectacles comme pour les rencontres, revendiquant le plaisir sérieux de partager la recherche, l’engagement, l’histoire, le sens.

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Avignon 2019. « Outside » de Kirill Serebrennikov : dramaturgie scénographie et m e s.

— Par Dominique Daeschler —

Kirill Serebrennikov impressionné par les photos de nu du photographe chinois Ren Hang, y voyant une poétique liée à une culture et découvrant ses écrits, décide de le rencontrer avec l’envie de bâtir un projet ensemble. Hang se suicide avant. Serebrennikov empoigne alors ses mots, ses images et fait Outside.
Nous voilà entraînés dans une surimpression de scènes et d’images pour dire que l’art n’est pas une tour d’ivoire, que l’artiste est témoin de son temps, « mouillé » qu’il le veuille ou non et surtout pas politiquement correct. Des liens se tissent : pluridisciplinaires, multiculturels. Les hommes nus de Hang rencontrent les perquisitions et les interrogatoires russes. Pour fuir tout totalitarisme la liberté est débordante, désordre et provocation qu’il s’agisse de sexe, de genre, de pensée. … « Il est interdit d’interdire », il faut fuir la dépression, l’invitation au suicide. Alors tout se bouscule : un couple marche sur un toit, une chanteuse chinoise devient sirène puis enfile une tête de cochon. Des hommes et des femmes nus se couvrent de fleurs : statues, croix, tombes ? Une petite boule verte -qui nous rappelle l’homme vert de Cetelem- traverse le plateau.

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Avignon 2019. « Le reste vous le connaissez par le cinéma » de Martin Crimp, m.e.s. de Daniel Jeanneteau.

— Par Dominique Daeschler —

Le texte de Martin Crimp reprend la trame singulière des Phéniciennes d’Euripide. Trame singulière car Euripide soumet le mythe fondateur (Œdipe) à la parodie, au jeu, orchestre avec malice et critique les aventures de ces héros grecs, les soumet « à la question » par le biais d’un chœur de « filles » omniprésent et omnipotent. Ces filles d’aujourd’hui, étudiantes ou dans la vie active, brillamment conduite par la déjantée et gouailleuse Elsa Guedj, ne sont rien moins que ces Phéniciennes, femmes d’Orient, migrantes avant la lettre. En pleine guerre du Péloponnèse qui entraînera la décadence de la Grèce, ce sont des femmes qui parlent et qui s’opposent. Crimp fait de ce chœur l’axe de la représentation.

Dans une salle de classe désaffectée, au mobilier renversé, les filles exhument et convoquent tous les personnages, les interrogent, les interrompent, les confessent, changent leur destin. Quel héritage ! Défilent la vacuité de la recherche du pouvoir (Empédocle et Polynice), la responsabilité d’Œdipe (une sorte de péché originel), l’impossibilité de l’effacement et de la réunion (Jocaste) etc.…Dans les mots d’aujourd’hui des filles, des liens se font avec le présent.

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Avignon 2019. « La Brèche » de Naomi Wallace, m.e.s. de Tommy Milliot. 

— Par Dominique Daeschler —

Ils sont quatre adolescents qui se réunissent dans un sous-sol de banlieue aux USA. Deux milieux s’affrontent : deux nantis et deux prolos. Déjà des jeux de pouvoir, des défis, des serments et des paris. Jude, la révoltée, sœur d’Acton petit frère protégé par les fils de famille Frayne et Hoke, en est l’enjeu. Les voilà grands, se retrouvant à l’enterrement d’Acton qui s’est suicidé ne supportant pas sa lâcheté qui a permis le viol de sa sœur par les deux autres. Deux équipes d’acteurs au jeu vif font le va et vient entre ces deux époques. Sur une simple dalle de béton, l’espace étant délimité par une lumière vive ou un noir qui appelle le vide, les mots traversent les corps, les déconstruisent dans leurs mensonges, leur rationalité leur bonne conscience ou leur remords. Tous ont triché et le plus faible a trinqué. Deux dénonciations fortes : le viol lié à la présence de substances pharmaceutiques pose la question du consentement, le fossé entre les classes sociales crée une inégalité et donne une lecture de l’Amérique d’aujourd’hui.

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Avignon 2019. « Qui a peur de Virginia Woolf ? » d’Edward Albee, m.e.s. de Panchika Velez.

— Par Dominique Daeschler —
Voilà un spectacle bien huilé qui roule tout seul avec le plaisir de retrouver de vrais dialogues (oui, on l’avoue), des retournements de situations, un décor qui fonctionne dans son classicisme absolu et ses répartitions d’entrée-sortie de cour à jardin. Pépère ? Le duel à fleuret moucheté Martha- George l’en empêche : voilà deux comédiens toniques qui derrière le cynisme laissent éclater leur douleur (la perte du fils) tout en buvant sans modération. Ils entraînent dans la danse les jeunes Nick et Honey qui finiront par se mettre au diapason (excellents acteurs eux aussi). Jeu de dupes et jeu de rôles. La mise en scène et la direction d’acteurs frôlent parfois le boulevard comme pour donner une ambiguïté supplémentaire ce qui retentit habilement sur la joute oratoire. Un seul regret, le choix d’un jeu trop hystérisé pour Martha ce qui renforce la maitrise de George. A quelque chose malheur est bon.
D.D.

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Avignon 2019. « Ava, la dame en verte ». de Pavlata et 0. Bernard. m.e.s. d’Alexandre Pavlata.

— Par Dominique Daeschler —
Totalement allumée, Ava : râlant d’être trop belle et multipliant les poses lascives, elle ne veut plus être uniquement cet objet de désir qu’elle provoque pourtant. Ava a un univers : trapéziste, acrobate, chanteuse, fakir c’est une femme orchestre qui maitrise le rire avec humour et dérision (les bouts d’essai de cinéma). Elle joue. Drôle et sensuelle ce n’est pas incompatible, le comique au cirque n’est pas l’apanage de l’homme, le clown ne se décline pas qu’au masculin. Ava est brillante et a du mal à trouver chaussure à son pied : c’est aussi souvent comme ça dans la vraie vie. Pourquoi n’arrive-t-on pas à croire qu’elle nous permet de décliner une image différente du clown en introduisant sa féminité ? Question des auteurs et du cirque actuel que ne pose pas le spectateur car elle introduit un univers poétique qu’elle conduit avec le panache d’un Cyrano. La fin, comme une pirouette est trop convenue c’est dommage car Orianne Bernard, en vraie circassienne, assure de bout en bout ce personnage fantasque et doué.
D.D.

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Avignon 2019. « Ventre » de Steve Gagnon, m.e.s. de Vincent Goethals. Cie théâtre en scène.

— Par Dominique Daeschler —
Dans le cadre de la sélection Grand Est, Théâtre en scène s’empare d’une pièce de Steve Gagnon jeune auteur québécois qui explore la séparation amoureuse d’un jeune couple. Il n’est pas si facile de faire le deuil de ses espoirs d’adolescent idéaliste, comment s’aimer sans se résigner, être guetté par l’usure et la convention sociale ? Vincent Goethals dont les créations sont très liées à l’écriture théâtrale francophone contemporaine (Québec, Afrique) est totalement à l’aise dans la saveur de la langue québécoise et le mode interpellatif de la pièce même si le spectateur y perd parfois le souffle tant le rythme et le débit sont rapides, tant les « marde » et les « tabernacle » lui tombent dessus comme autant de grêlons. Tant, pis, tant mieux, le but n’est pas de le préserver. Le décor : une baignoire, un appartement avec des bâches de protection, des éclairages de chantier, un univers sonore : tout va bouger, se mettre au rythme du jeu des acteurs et de leurs mouvements chorégraphiés dans l’amour pour affirmer l’espoir des retrouvailles.

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Avignon 2019. « L’homme qui tua Don Quichotte », d’après Cervantès, m.e s de S. Tcheumlekdjian.

— Par Dominique Daeschler —
Le point d’appui de jeu est un choix risqué. Cervantès, las d’un personnage qui a pris ses aises par rapport à l’auteur décide de rabattre le caquet à ce dernier, de le raconter en le démontant avec toutes ses faiblesses, afin de reprendre son droit d’auteur ! La folie, l’extravagance du chevalier à la triste figure est la plus grande et l’accent mis sur le côté pouilleux du chevalier désargenté accentue son humanité. Le texte est servi par une comédienne qui, jouant tous les personnages, instaure un récit qui sait donner, avec quelques mimiques, chair à chacun avec vivacité et humour. C’est joliment accompagné musicalement. Parce que la notion de jeu dans le jeu est subtile, parce qu’on utilise tous les possibles de l’acteur sans artifice, le pari est gagné.

D.D.

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Avignon 2019. « Claudel » texte et m.e.s. de Wendy Beckett

— Par Dominique Daeschler —

Ce Camille Claudel, à la distribution cosmopolite, doit beaucoup à la complicité entre deux artistes australiennes : la chorégraphe Meryl Tankard et l’autrice, metteuse en scène Wendy Beckett. L’une, membre éminent de la compagnie de Pina Bausch, directrice un temps de l’Australian Dance Theater apporte son sens inné des rencontres entre art visuel, théâtre et danse. L’autre, autrice féconde et férue de littérature et de science, est avec cette pièce au cœur d’un de ses axes de recherche : l’exploration des possibilités artistiques données par les ressorts psychologiques d’une biographie. Nous voilà dans l’atelier, avec les modèles – comme autant de sculptures dansantes, indociles car à façonner, libres comme Camille. Fière, arrogante, sûre de son talent, elle en jette Camille (belle interprétation de Célia Catalifo). Les obstacles sont multiples : une société bloquée quant à la place des femmes surtout dans une discipline dite masculine, la désapprobation d’une mère bourgeoise que Paul le pleutre rejoindra plus tard dans la décision d’enfermer Camille, la lâcheté de Rodin dans le rapport amoureux et déjà sa jalousie dans la reconnaissance d’un grand talent, la mort du père, autant d’éléments qui vont déstabiliser Camille qui se brûle.

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Avignon 2019. « Qui va garder les enfants ? » de Nicolas Bonneau et Fanny Chériaux, m.e.s. de Gaëlle Héraut

— Par Dominique Daeschler —
Seul en scène, dans un récit- reportage, Nicolas Bonneau, avec quelques chaises hétéroclites qui encombrent un escalier, donne le ton. Il campe les femmes politiques qu’il a rencontrées, histoire de comprendre pourquoi elles font encore souvent tâche dans un monde d’hommes, un peu ovni, sorcières ou séductrices, pas vraiment intégrées (tiens, tiens). Serait-on encore dans un colonialisme ? Et puis comme disait Fabius à propos de Ségolène Royal, qui va garder les enfants ? Tout par de cette amoureuse qui lui fauche la place de déléguée de classe et qu’il retrouve plus tard comme déléguée du Nord… Jalousie, égalité hommes -femmes, postes ministériels plutôt dans le social, insultes sexistes jusqu’à l’Assemblée (concert des vagins) : tout y passe. Défilent les plus célèbres : Roudy, Bouchardeau, Cresson, Royal, Merkel, Veil, Taubira. Elles ne céderont pas et prendront place. Le mélange de l’anecdote et de l’analyse sociologique et politique est finement ciselé sans lourdeur ni profession de foi, simplement dans la vie.

D.Daeschler

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