— Par Michel Porcheron —
Le journaliste et écrivain Philippe Lançon a retrouvé pour Libération Leonardo Padura à Paris trois ans après leur dernière rencontre, à La Havane. « Le romancier semble égal à lui-même : discret embonpoint, ironique prudence et chaleur distanciée ». Il clope toujours, « ici comme là-bas »
L’écrivain cubain, 60 ans, est en France pour présenter un recueil de nouvelles « Ce qui désirait arriver » (Ed.Métailié), composé de textes écrits entre 1985 et 2009, une époque où il n’était pas encore romancier, « ou pas encore connu ». Ces nouvelles ont été écrites « avant, pendant et après la naissance de Mario Conde, son flic mélancolique, devenu vendeur de livres » .Le Conde a été imaginé en 1989.
L’article du « conocedor » Philippe Lançon couvre deux pages de Libération dans son n° du jeudi 9 juin, avec pour titre « Padura, Cuba du siècle ».
« Padura, Cuba du siècle » de Philippe Lançon (Libération)
Posté par Michel Porcheron
Rencontre de Philippe Lançon (photo) avec l’écrivain cubain dont l’œuvre incarne l’histoire de son pays, depuis la disparition du « parrain » soviétique jusqu’au récent rapprochement avec l’ancien ennemi américain.
Le 17 décembre 2014, comme Liz Taylor et Richard Burton après un de leurs spectaculaires divorces, Cuba et les Etats-Unis annoncent leur rapprochement. Les Cubains qu’on n’a pas vus depuis ont-ils changé ? Question idiote, mais qui flotte malgré tout dans l’air qu’on a failli ne plus respirer, comme si le temps politique, bondissant par-dessus cinquante-cinq ans d’histoire et d’amitiés pour dissoudre dans les traités le rhum et ses madeleines, devait soudain tout métamorphoser. Les vieilles connaissances insulaires ont- elles été brutalement renvoyées sur l’étoile morte du monde d’hier, où on les a connues et qu’elles nous ont fait aimer ? En voici une, Leonardo Padura. Il est à Paris pour présenter un recueil de nouvelles, Ce qui désirait arriver. Curieuse expression de Salinger, mais c’est bien ça, Cuba a vécu une longue adolescence civique, économique, sociale, où chacun baignait, baigne encore, dans « ce qui désirait arriver ». Padura a 60 ans et on ne l’avait pas vu depuis trois ans – c’était à La Havane, à l’époque des mangues, sous un soleil de mai. La forme diplomatique d’une île changeant plus vite que le cœur d’un mortel, le romancier semble égal à lui-même : discret embonpoint, ironique prudence, chaleur distanciée et clopes fumées sur le trottoir en regardant la rue, comme ici, comme là-bas.
Souvenirs d’Angola
Les nouvelles ont été écrites entre 1985 et 2009. La plupart datent de l’époque où il n’était pas encore romancier, ou pas encore connu. Elles donnent des nouvelles de son passé. Elles ont été écrites avant, pendant et après la naissance de Mario Conde, son flic mélancolique devenu vendeur de livres en attendant la suite. Le Conde a été imaginé en 1989 – à une époque où Cuba vivait un choc : la chute du mur de Berlin et la disparition du parrain (et banquier) soviétique. Sa vie de personnage, à la première page de Passé parfait, commence par une gueule de bois. Les Cubains en ont vécu un certain nombre depuis la révolution de 1959. L’année 1989 fut l’une des plus sévères. C’était toujours la guerre d’Angola. L’Etat faisait le procès stalinien télévisé du général Ochoa, de ses officiers. Il glaçait son communisme bureaucratique et tropical. Ce fut une année, écrit Padura dans Un détective à La Havane (1), « pendant laquelle sonnèrent de nombreux glas ». Il était déjà lecteur de Hemingway. Il aime aussi les nouvelles de Salinger, Cabrera Infante, Cortázar, Lino Novás Calvo. Mais il déteste Borges, « pour des raisons exclusivement littéraires que je n’explique pas »….