— Le n°270 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —
Il faut savoir écouter l’herbe qui pousse, percevoir les frémissements les plus subtils, deviner les menaces d’orage ou au contraire de calme plat, et avancer sans transiger.
La Martinique bruisse de multiples initiatives pou sové kréyol-la. Le tabou d’hier est devenu conscience d’un combat nécessaire. Les débats sur « les Métropolitains en Martinique » se multiplient. La chute de cet autre tabou est un prélude aux mesures politiques à définir, et à prendre. La parenthèse loufoque d’un drapeau au konlanbi, décidé par le pouvoir d’un seul et rejeté avec dédain par beaucoup, se referme, dégageant la voie pour d’autres choix.
Les députés du cru ne votent plus mécaniquement les « budgets de l’outre-mer » (malgré leur « anticolonialisme » officiel !), et ruent dans les brancards. Les Parlementaires ne se divisent plus en trois catégories ineptes : les suiveurs dociles de la droite, les suiveurs dociles du P.S., les abstentionnistes feignant de remplacer les oppositions idéologiques et de classes sociales par un clivage sommaire et impuissant entre Français toutes tendances confondues, et Martiniquais toutes nuances sacrifiées. Un bon sens tout nouveau les conduit à prendre langue avec la tendance la plus à gauche de l’assemblée nationale de France, et à concevoir des solidarités.
Les élu-e-s des dernières colonies (qui, tragi-comédie, continuent de s’auto-désigner « ultramarins » -tchia !) réclament de « négocier »(sic) avec le pouvoir, et mettent « la question institutionnelle » au premier plan, alors qu’il n’y a pas si longtemps, l’un des plus connus d’entre eux (Alfred Marie–Jeanne) se vantait d’avoir « gelé » ladite question.
Nous nous réjouissons de toutes ces évolutions. Le vieil assimilationisme se cadavérise et l’infantilisme mystificateur n’est pas seul à postuler pour prendre la place. Woulo pou tou sa ! Mais pourtant rien n’est joué. Qui dit ouverture d’opportunités, dit souvent risques concomitants.
Le premier risque se résume en une question : va–t’on assez loin, assez fort, assez vite, pour répondre aux urgences de l’heure et aux légitimes impatiences de la population ? Nous ne le croyons pas.
Le deuxième risque appelle une autre question : ne sommes–nous pas à la veille d’une nouvelle mystification ?
Les lots de consolation symboliques en guise de solution de la question nationale plairont à la petite bourgeoisie radicalisée. Le peuple qui ne se contentera pas de hochets, saura-t-il comprendre que ses problèmes quotidiens ne sont pas sans rapport avec la question du pouvoir, pudiquement appelée « question institutionnelle »? Saura-t-il surtout sortir de l’apathie désabusée et décider de peser concrètement sur le domaine politique et social, là où se règlent ses destinées ?
Cette réflexion nous conduit tout droit au troisième risque. Le risque que tout se joue dans des conciliabules, verbalement musclés ou pas, entre le pouvoir et les élu-e-s !
Il existe une façon de conjurer ces dangers et d’exploiter positivement l’atmosphère évoquée au début. La clef appartient au mouvement ouvrier qui, dans notre histoire, est à l’origine de la plupart des grandes luttes et avancées. C’est lui en effet, qui a le plus intérêt à lier question institutionnelle et problèmes quotidiens des masses (santé, école, emploi, pouvoir d’achat, eau, énergie, logement, transport, loisirs..). C’est lui qui a les traditions théoriques permettant de distinguer dlo mousach ek lèt. Lui, qui peut entraîner les larges masses à exiger leur place dans toute négociation sérieuse, c’est-à-dire basée sur un rapport de forces. Lui, qui peut établir une liaison sérieuse et fructueuse avec les forces ouvrières et démocratiques des autres colonies et de France. Lui, qui peut conduire sur place et à l’échelle mondiale, le combat pour la transition énergétique, le sauvetage du climat et de la biodiversité dans le respect de l’équité sociale.
Le problème c’est que le mouvement ouvrier syndical et politique ne pourra remplir cette mission en sombrant dans le « chakbètaféism » qui le gangrène lui aussi.
L’audace, la détermination, l’acharnement dont ses composantes font preuve à l’occasion, doivent aller au–delà des combats solitaires de tel ou telle !
On le voit dans le combat pour arrêter la rage répressive du pouvoir colonial, dans le combat contre le harcèlement irresponsable des non vacciné-e-s, dans le combat pour les salaires, contre la vie chère, contre l’impunité et l’incurie dans le dossier du chlordécone, contre les atteintes aux droits sociaux par la bande à Macron. On le voit dans l’absence de combat prolétarien pour avancer dans la voie décoloniale ou pour imposer des mesures concrètes pour la transition énergétique, pour le transport public, pour une vraie politique de santé préventive et curative, pour l’accès aux terres et une agriculture nourricière, saine, produite dans des conditions sociales justes. La route est longue. Reste à mettre les bouchées doubles.
I ja ka ta, vréman !
À ne pas manque ! Jeudi 10 novembre à 18 heures
4 militant-e-s anticolonialistes débattent entre eux et avec le public
Sur les enjeux du moment : question institutionnelle, problèmes du quotidien, mouvement social, partis et élu.e.s dans la conjoncture actuelle.
18 HEURES À L’IMPÉRATRICE FACE À LA SAVANE-FORT-DE-FRANCE