Ouverture en demi teinte du 38ème festival de Fort-de-France

— Par Roland Sabra —

Malavoi a fait une ouverture mitigée du 38 ème festival culturel de Fort-de-France placé sous le titre « Moissons vivantes ». Ralph Tamar est apparu « encravaté » avec boucle d’oreille, dans un costume anthracite rayé de VRP en recherche de respectabilité. Il y avait un coté chanteur sur le retour pour « mémères décorées comme des arbres de Noêl » (Brel). Mais le public à l’image de son chanteur s’y est reconnu. L’introduction, même si elle est un hymne la Martinique a semblé un peu « lourdingue » à l’image du leader vocal engoncé dans son costard de chez Tati. Si le bassiste était étrangement absent, parti ailleurs on ne sait où, le tenant des claviers a fait son boulot avec quelques solos bien balancés en écho à ceux des violons. La violoncelliste faisait de la pure décoration et il fallu attendre le dernier morceau pour un petit solo de percus. La deuxième partie avec une reprise de classiques balançait un petit peu plus : Ralph Tamar avait laissé tombé la veste et la cravate et opté pour une chemise blanche bien empesée sur le pantalon inchangé du costard. Les 50/60 ans et plus ont bien apprécié. Bon c’était « Moissons vieillissantes ».

 

Belle initiative le dimanche au centre Camille Darsières avec la projection de YOL le film du kurde Yilmaz Güney, Palme d’Or à Cannes en 1982. Film admirable qui n’a pas pris une ride, dans lequel tout l’art du cinéaste s’exprime avec force beauté. On rappellera pour la petite histoire que Güney était en prison en Turquie pendant le tournage et que c’est son assistant qui sur ses instructions a filmé les plans. Güney s’évadera, passera en Suisse, récupèrera l’ensemble du matériel, dirigera le montage et présentera son œuvre à Cannes. Il y est question du destin de cinq prisonniers qui bénéficient d’une permission de sortie de huit jours et qui vont retrouver d’autres prisons notamment celles des traditions patriarcales et des coutumes oppressantes d’une société à peine sortie du féodalisme. La force du film repose sur une distanciation, toute brechtienne, faite d’une cassure de l’unité narrative au profit d’une logique descriptive qui montre plus qu’elle ne dit et laisse ainsi un espace de production de sens par le spectateur. La parti pris esthétique loin d’être gratuit est bien au contraire productrice de sens. Si Güney dénonce la domination des femmes par les hommes, il dénonce tout autant le fait que les hommes sont en fin de compte dominés par cette domination, comme l’écrivait Bourdieu.  Les spectateurs sont sortis bouleversés de la séance. Il y a des œuvres d’art qui donnent heureusement une autre vision du cinéma que  celle des nanars madianesques. Audace de la programmatrice à la veille du spectacle « Fire of Anatolia », qui pouvait être poussée davantage avec l’organisation d’une rétrospective consacrée au cinéaste mort en exil à Paris en 1984. On aurait aimé revoir « Le troupeau » un film précédent Yol et « Le Mur » un film qui l’a suivi et lui aussi récompensé à Cannes.

 

Donc il y eut  » Fire of Anatolia » qui a suscité un déferlement de superlatifs sur les ondes et dans la presse écrite foyalaise. On n’en rajoutera pas. Un spectacle très  » grosses caisses », très professionnel, comme tous ceux qu’invite le SERMAC.. On en a eu plein les yeux et plein les oreilles. Le mythe de Prométhée revisité, façon anatolienne, sert d’argument à la troupe de danseurs pour une prestation acrobatique certes mais qui finit par oublier ce qui l’a motivée. On assiste alors à la sempiternelle lutte entre le mal, tout en noir, et le bien, de blanc vêtu, et devinez qui l’emporte?

 

Le premier rendez-vous théâtral de ce festival a été la présentation du travail du comédien metteur en scène, bien connu, Jean-Michel Martial. Il s’agit d’un montage de textes de Maryse Condé, intitulé « La voyageuse ». Voyage à la recherche de soi-même, et non pas voyage touristique, il va de soi! La scénographie, signée Eric Plaza-Cochet est très belle, de longs rideaux de fils descendent des cintres et sont mis en valeur par un éclairage plutôt bien pensé. Trois comédiennes, Marie-Noelle Eusebe, Daisy Miotellot et Josette Martial essaient, avec beaucoup de bonne volonté, de jouer des textes jamais écrits pour une représentation. Si cela est plus qu’une mise en espace, cela n’en fait pas pour autant une pièce de théâtre. Il y a du plaisir à retrouver l’écriture de Maryse Condé, à reconnaitre certains passage, à en découvrir d’autres, mais l’absence de dramaturgie rend la prestation un peu soporifique. Beaucoup de travail pour un résultat qui manque de souffle. Maryse Condé et l’écriture théâtrale? Brève rencontre!

 

Roland Sabra