— Par Patrick Singaïny —
Non, les millions de sympathisants des Marinistes ne se sentent ni désillusionnés, ni désespérés. Non, ils ne sont pas mus par la peur ou la souffrance. Ils ont même dépassé le stade de la déception et ne vivent plus sous le joug du sentiment de révolte : ils se vivent décomplexés, se sentent enfin compris et partagent une vision claire de la France. Quelle est-elle ? Une France assimilationniste qui fait la promotion de la préférence nationale ; celle qui permet de désigner qui est un bon français et qui ne l’est pas. C’est ainsi qu’inexorablement le Front National est devenu le premier parti de France devant l’UMP qui ne peut le battre qu’en s’associant avec l’UDI et le MODEM.
Des millions de gens peuvent-ils se tromper ?
Je parle ici de personnes parfaitement ordinaires qui se sont mises d’abord à douter des normes sociales et politiques pour embrasser, petit à petit, une sorte d’évidence morale. Sur quoi repose-t-elle ?
Bien sûr, il y a d’un côté les Français-de-souche – les citoyens de France de culture française (placée en sus de ses régionalismes)- et les citoyens de France de culture composite (c’est-à-dire qui mêle la culture française avec une autre d’ascendance extra-européenne et postcoloniale). Mais pour autant est-il tellement gênant d’envisager l’autre comme son semblable ? Doit-on, d’emblée, rendre suspect le sentiment d’appartenance à la Nation chez celui qui ne nous ressemble pas ?
Bien sûr, la laïcité, création française, est une des meilleures garanties de l’exercice de la liberté de conscience dans notre société, mais faut-il pour autant la confondre sciemment avec la neutralité qui n’est qu’une interdiction pure et simple de toute expression spirituelle ou religieuse, ce que ne dit en aucun cas notre loi de 1905, dite de La Séparation DES églises et de l’Etat ?
Bien sûr, faire du sentiment d’appartenance à la patrie l’assise de son message politique est louable mais est-on certain que cela suffit à constituer la validité intellectuelle d’un programme ? Que s’est-il donc passé pour que cela vous soit si naturel d’adhérer à ce type de posture ? Un déficit du jugement ? Ce n’est pas encore définitivement établi. Un déficit de la pensée ? C’est là le constat. S’il est vrai, comme je le soulignais dans mon précédent article, que la classe politique aurait dû dès au lendemain d’avril 2002 imaginer une autre façon de conduire le pays, il est tout aussi vrai que, dans le même temps, nous les intellectuels aurions dû nous remettre à penser. Car, comme le professait Hannah Arendt, la pensée ne se manifeste pas dans le savoir et la connaissance mais dans la capacité à distinguer le bien du mal.
A cette distinction fondamentale, Edgar Morin et moi y ajoutons l’exercice sans cesse réactualisé de l’établissement de la nuance complexe, celle qui s’accommode des contradictions et des paradoxes mais qui conduit à une certaine sagesse permettant de faire ici la différence entre la noblesse de la posture du patriote et la paresse totalitaire du patriotard.
Patriotard, -arde, adj. et subst.,péj. Qui exprime un patriotisme violent, agressif. Que tant d’hommes avertis, méfiants, puissent devenir tout à coup si crédules, dès qu’on fait vibrer la corde patriotarde (Martin du G.,Thib.,Été 14 , 1936, p.609)
« Pour être, l’homme doit se révolter, mais sa révolte doit respecter la limite qu’elle découvre en elle-même et où les hommes, en se rejoignant, commencent d’être. La pensée révoltée ne peut donc se passer de mémoire : elle est une tension perpétuelle. En la suivant dans ses oeuvres et dans ses actes, nous aurons à dire, chaque fois, si elle reste fidèle à sa noblesse première ou si, par lassitude et folie, elle l’oublie au contraire, dans une ivresse de tyrannie ou de servitude » . Albert Camus, l’Homme révolté.
Qu’est-ce qu’être patriote ? C’est aimer ardemment sa patrie et le prouver par ses actes (Larousse). Il me semble que la désunir va à l’encontre de ce dévouement.
Patrick Singaïny