—| Par Lucas Chancel (Chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri-SciencesPo)) et Damien Demailly (Coordinateur du programme « Nouvelle prospérité » à l’Iddri-SciencesPo) —
Dans la grande majorité des pays industrialisés, les taux de croissance sont en baisse depuis quarante ans. Pour les générations nées après les « trente glorieuses » – un Français sur deux –, les appels au retour d’une « croissance forte » semblent désuets et irréalistes. D’autant plus que les taux de croissance des décennies à venir pourraient être plus faibles encore que lors des décennies passées, pour au moins quatre raisons.
D’abord, la désindustrialisation de nos économies contribue à ralentir tendanciellement la croissance, les gains de productivité étant plus faibles dans les services que dans l’industrie. Les récents drames humains associés aux plans de productivité dans des entreprises de télécommunications rappellent qu’il est difficile d’accroître la productivité dans le secteur des services sans mettre en danger la santé des travailleurs ou la qualité du service rendu.
Le vieillissement de la population, en réduisant la part des actifs dans la population totale, limite aussi la capacité productive d’une économie, et donc son taux de croissance. Des chercheurs estiment que le vieillissement réduit actuellement la croissance d’environ 0,7 point de pourcentage par rapport aux années 1950.
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Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) sont porteuses d’espoir quant à leur potentiel de croissance. Pourtant, malgré les bouleversements qu’elles ont opérés sur notre vie quotidienne, leur effet sur l’activité économique peine à être observé dans les statistiques. Pour certains auteurs, les NTIC ne sont pas porteuses d’une vague d’accélération d’une ampleur comparable à celles des innovations phares (électricité, machine à vapeur) des révolutions industrielles passées.
UN HORIZON QUI EFFRAYE
Peut-on alors miser sur les retombées industrielles d’une transition écologique ? La prise en compte du caractère limité des ressources énergétiques et la nécessité de contenir la hausse des températures à l’échelle de la planète pourraient réduire encore un peu davantage le potentiel de croissance.
La transformation des modes de production des entreprises ou des habitudes des consommateurs n’est pas facile. Dans un contexte de hausse des prix de l’énergie, cette inertie pourrait constituer un frein à la croissance.
Les décennies à venir pourraient donc bien être caractérisées par une croissance aussi faible que lors de la dernière décennie. Dans le débat public, un tel horizon effraye : sans croissance, un pays ne peut prospérer. Cette affirmation, si profondément ancrée dans notre idéal collectif, ne devrait-elle pas être réexaminée ?
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