— Par Selim Lander —
Pas un docu-fiction, Ouaga Girls est à ranger dans la catégorie des faux-vrais documentaires. Vrai parce que les personnages d’apprenties, de professeurs, de garagistes, etc. sont interprétés par de vrais apprenties, professeurs, etc. Faux parce que, sauf erreur, le film est scénarisé, les dialogues ont été répétés et les scènes rejouées autant de fois que nécessaire. Ceci admis, le film reste une formidable incursion dans un univers complètement exotique pour les spectateurs occidentaux auxquels ce film est destiné en priorité (produit avec des fonds suisses et français, présent dans les festivals internationaux), même s’il peut atteindre aussi, quoique plus difficilement, le public africain.
Sans vouloir faire la leçon à nos collègues critiques de cinéma plus patentés que nous-même, le statut de ces films qui visent deux publics radicalement différents (pour ne pas dire aux antipodes l’un de l’autre) mériterait d’être mieux examiné. Ouaga Girls, par exemple, est centré sur quelques élèves d’une institution burkinabé destinée à former des jeunes femmes (uniquement des jeunes femmes) aux métiers de l’automobile, héritage probable de l’ère Sankara et de l’orthodoxie communiste suivant laquelle, rappelons-le, il n’y a pas de métier spécifiquement masculin ou spécifiquement féminin. Ces jeunes femmes se préparent précisément à devenir carrossières : que le terme choque en français indique suffisamment combien nous sommes – en France – restés loin, en pratique, d’une telle orthodoxie, malgré l’existence du PCF, ce parti ouvertement stalinien qui a dominé la gauche pendant plusieurs décennies. Aussi Ouaga Girls nous intrigue-t-il non seulement à cause de l’environnement dans lequel il est filmé – celui d’une grande ville africaine avec ses habitants dont l’apparence diffère autant de celle des Antillais que des « Français-de-France », ses maisons ou magasins sans étage protégés par des grilles, les « makis » toujours un peu glauques, les rues poussiéreuses, les myriades (pardon pour le cliché !) de deux roues, etc. – mais encore à cause de la manière dont il véhicule son idéologie féministe : que les femmes puissent être l’égale de l’homme dans tous les métiers nous apparaissant particulièrement incongru dans un pays où elles subissent si ouvertement la domination masculine avant le mariage (les grossesses non désirées) aussi bien qu’après car, ainsi que cela nous est rapporté par l’une d’elles : une fois que l’on vit « dans la cour » de son mari (qu’on l’a épousé), son pouvoir tend à devenir absolu.
Comment Ouaga Girls peut-il être reçu en Afrique subsaharienne ? Sans doute beaucoup de jeunes femmes prendront-elles les apprenties carrossières comme modèles tandis que beaucoup d’hommes se montreront sceptiques sinon hostiles. Ainsi ce film qui n’est pour nous qu’une sorte de conte exotique est-il selon toute vraisemblance un vrai objet de débat dans son milieu d’origine.
Ce film intéressant, quoi qu’il en soit, sur le fond, retient également l’attention par son écriture. On remarque en particulier la manière astucieuse de distiller quelques informations précises sur le Burkina-Faso par le biais d’une télévision qui débite son jet d’eau chaude là-bas comme ailleurs ; le camion des supporters du candidat à une élection, improbable semi-remorque croisé par l’une des jeunes femmes ; la séquence consacrée au concert d’un rappeur devant un public à majorité masculine qui semble passablement intimidé ; les images des jeunes femmes endormies pour la sieste sur les tables de leur salle de classe ou des même jeunes femmes accroupies se détachant en ombre chinoise sur le sable violemment éclairé de la cour de l’école.
Ouaga Girls, un film de Theresa Traore Dahlberg.
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En dépit de quelques couacs (Human Flow déprogrammé le 18 juin, la salle qui se rallume avant le fin de Ouaga Girls le 19 juin, …) on se doit de saluer ici la nouvelle programmation des cinémas Madiana, lesquels, toujours en partenariat avec Tropiques-Atrium, offrent désormais des projections bien plus fréquentes de films d’art et essai en VO ou des versions originales de films « grand public » projetés par ailleurs, au point que les événements culturels ayant tendance à se précipiter en ce mois de juin, juste avant la « trêve estivale » (ex « grandes vacances »), et chaque film n’étant présenté qu’une ou deux fois (à quand une salle entièrement dédiée à l’art et essai ?), on se trouve contraint de rater des films qu’on aurait voulu voir.
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Cet article est également l’occasion de saluer le choix de L’Île aux chiens de Wes Anderson, film d’animation réalisé avec les procédés d’aujourd’hui qui n’ont absolument plus rien à voir avec les « dessins animés » des anciens cartoons. Dans un Japon totalitaire, le président Kobayashi a décidé de bannir tous les chiens sur l’île où s’entassent les déchets de la ville. Un petit garçon, Atari, neveu du président, part à la recherche de Spots, son garde du corps canin et meilleur ami. Il tombe sur une petite bande de chiens de races variées disposés à l’aider… Si les séquences consacrées aux humains, en ville, déçoivent un peu, toutes celles sur l’île – bien plus nombreuses – avec les chiens, sont un ravissement.