« Quelques mots écrits pour dire psy » —Par Victor Lina —
L’enfant arrivant sur la scène du monde est d’abord un étranger.
L’enfant est un étranger que l’on naturalise, c’est un inconnu que l’on reconnaît, c’est une énigme que l’on est conduit à résoudre, car si la mère accouche de l’enfant, l’enfant amène la question : de qui ? La question du père.
En 1981, Dany DUCOSSON, psychiatre guadeloupéenne évoque le rapport de l’enfant et de la loi dans la revue CARE à travers son article « La Mère et la Loi ». A partir de préalables socio-historiques, l’auteur souligne certaines conditions ayant pu déterminer un type singulier de rapport du sujet à la loi par l’intermédiaire maternel. Partant de son expérience clinique auprès de familles en Guadeloupe, elle souligne que « s’il y a eu évacuation du père réel, il n’y a pas de relation mère-enfant excluant totalement le père au nom d’une loi édictée par la mère, fixant les interdits en fonction de ses désirs à elle. Le père est toujours présent dans le discours de la mère, le cherchant là où il n’est pas, là où elle et l’enfant ne peuvent rencontrer que le maître. »
Là où il n’est pas, un non-lieu, un pas lieu d’être, le père…Mais alors l’enfant dans tout cela comment peut-il se retrouver ?
Puisqu’à chercher le père c’est le maître qui serait autorisé à répondre.
Dès l’introduction de l’ouvrage intitulé Le père oblitéré, l’auteur, Livia LESEL afin de mieux inviter le lecteur à la réflexion, souligne l’affirmation : « L’enfant c’est l’affaire de la femme antillaise ».
Parler de l’enfant aux Antilles équivaudrait à s’interroger sur cette parole de la mère au sujet de l’absence du père, de son irresponsabilité, de sa fuite, mais signifierait aussi de tenter d’aller au-delà de cette affirmation.
De même, parler du père, ici, dans un pays dont l’histoire somme toute récente est marquée par un passé colonial et esclavagiste, conduit à rappeler que sous le régime de l’esclavage dans les colonies sucrières, le seul père légal selon l’article 12 du Code Noir, est le colon propriétaire d’esclave : l’enfant appartient au maître de la mère et à lui seul.
Des enfants qui ne sont pas fils ou fille de leur père, mais fixés pour demeurer enfants de leurs maîtres telle pourrait être la question implicite face à laquelle l’esclave de la période coloniale post-colombienne aurait à tenter de trouver une réponse.
Comment être l’enfant de… sans être fils ou fille d’un père. Ou sé ich ki moun, Sa ki papaw ?
Secret de polichinelle, chacun a son idée sur la question, on s’en doute. Certains ont vu mademoiselle untel avec monsieur untel. Mais voilà les choses souvent en restent là. L’enfant qui naîtra dans ces cas sera dit né de père inconnu ( mais pas insoupçonné).
L’enfant, décidément, apparaît comme un présent qui ne s’apprivoise que partiellement et à la condition que lumière soit faite sur le passé.
Mais de quel passé s’agit-il ?
Il y a-t-il un mouvement d’arrimage d’une histoire collective à un passé singulier et vis et versa ?
Nous nous permettons cette fois encore d’avancer cette formule : l’enfant est en filigrane l’objet du désir d’une communauté et la marque de son manque. Donnez-nous la faveur de souligner « et la marque de son manque. »
Objet de désir et marque d’un manque, l’enfant est le terme qui actualise la dette que nous nous transmettons de génération en génération.
En Juillet 2010, Jeanne WILTORD, Psychiatre et Psychanalyste martiniquaise présente un exposé intitulé : Les békés : maître et père ?
Un mal à l’histoire…Elle y souligne une passion de l’ignorance, une application aveugle consacrée à l’évitement d’un point qui tout bonnement « entretient la nostalgie d’un père imaginaire et d’un maître colonial. »… « La recherche d’un père dont la trace serait visible ne cesse de hanter la société martiniquaise… »
« Père y es-tu ? » tel est le titre du séminaire organisé par le GAREFP (Groupe Antillais de Recherche et de Formation Psychanalytique) en 2006. L’abord de cette question n’est pas neutre dans ce contexte.
S’agit-il de trouver ou de confirmer un père derrière un écran opaque voire sous les décombres d’un bataclan au milieu desquels s’entortillent les restes d’une bannière de noms interdits?
A poser la question l’enfant qui est-il ? Nous en sommes arrivés à celle du père é tiy, é ti i yé ?
Pè pa pè !!!
Victor LINA