Les 15, 16 & 17 juin 2018 au T.A.C. à 19h 30
— Par Selim Lander —
C’est depuis des décennies l’ambition de José Alpha et de son Téat’Lari que d’apporter le théâtre au public populaire. Il a ainsi, jadis, monté plusieurs pièces de Vincent Placoly en créole et/ou français. Souvent à l’œuvre dans la rue, voire dans le hall de la gare Saint-Lazare pour interpréter des textes de Césaire, ses comédiens font preuve d’une belle abnégation. C’est donc certainement pour eux une récompense de se produire sur le plateau du théâtre municipal de Fort-de-France dans un spectacle doublement ambitieux, au demeurant, autant par le choix d’une des pièces les plus célèbres du répertoire shakespearien que par le nombre des comédiens mobilisés : dix en comptant la brève apparition de J. Alpha lui-même dans le rôle de Brabandio, le père de Desdémone, épouse d’Othello, (malheureuse héroïne s’il en fut).
J. Alpha fait le choix de transposer Othello dans nos Caraïbes. Choix judicieux quand on fait appel à des comédiens qui – comme c’est malheureusement le cas en Martinique – n’ont pas la possibilité de jouer régulièrement. On élimine une première difficulté en les laissant dans leur contexte et dans leur langue : c’est ainsi qu’Othello se retrouve chef d’une bande de marginaux bien de chez nous. L’essentiel de la pièce de Shakespeare est néanmoins conservé : la haine de Iago envers Othello et la jalousie maladive d’Othello qui le pousse à entendre les calomnies de Iago qui visent Desdémone.
A ce propos – parenthèse – on doit admirer la modernité de Shakespeare qui n’a pas attendu le mouvement « Me too » pour affirmer par la bouche d’Emilia, la femme de Iago, que les femmes ont les mêmes droits que les hommes, y compris celui de les tromper lorsqu’ils se montrent indignes de leur rôle de mari – puisque en effet les comédiens ne sont pas les seuls à jouer des rôles : chacun d’entre nous, dans la vie de tous les jours, n’est-il pas tenu d’en tenir plusieurs… avec plus ou moins de réussite ?
Comme toujours dans de telles productions, l’hétérogénéité de la distribution pose problème. Il y a trop souvent cette élocution défectueuse qui empêche de saisir toutes les répliques. Avant de jouer, il faut d’abord sortir son texte à forte et intelligible voix, jusqu’à la fin de sa réplique, une difficulté qui s’avère souvent insurmontable. Ainsi, dans cette pièce en particulier, le motif de la haine de Iago envers Othello nous aura-t-il échappé jusqu’à la fin…
N’empêche. N’empêche que J. Alpha a su maintenir presque constamment notre attention. Et ceci avant tout grâce justement… à son Iago. Dans le rôle, Eric Bonnegrace est la vivante incarnation du mal. Et s’il tire peut-être, au gré de certains, un peu trop son personnage vers le comique, ne peut-on pourtant se montrer à la fois mauvais, cynique et se moquer ? Le rôle d’Othello est plus complexe, qui exige de passer du rôle de l’époux très épris à celui d’une brute sans cervelle. L’interprétation de Jean-Claude Duverger – qu’on a connu mieux inspiré – demeurait, lors de la première, dans l’entre deux. Jamais vraiment amoureux de Desdémone, jamais vraiment méchant, il a laissé l’impression d’un personnage falot, simple jouet des manigances de Iago, qui collait mal avec le chef de guerre (ou de bande dans l’adaptation d’Alpha) qu’il est censé être.
Les comédiennes, distribuées dans des rôles, il est vrai, plus simples, sont plus homogènes, avec une mention spéciale pour l’exubérante Christèle Calixte au jeu très physique.
Pour finir, il convient de souligner combien s’avère bienvenue, au-delà de la raison circonstancielle invoquée dans notre remarque liminaire, l’idée de transplanter cette pièce « vénitienne » de Shakespeare dans le monde interlope d’aujourd’hui, avec un échafaudage pour seul décor. Nous en faisions récemment la remarque à propos de Zigzag de Xavier Lemaire, présentée également cette saison au Théâtre municipal, qui proposait plusieurs interprétations de la même scène du Médecin malgré lui : la version contemporaine-trash était de loin celle qui nous touchait (à défaut de nous faire rire) le plus. Si rien n’interdirait, évidemment, de monter de nos jours les classiques en costumes et dans des décors d’époque, l’entreprise serait, à l’évidence, bien plus difficile.
Othello, le guerrier vaincu par la passion, Théâtre municipal de Fort-de-France, les 14, 15 et 16 juin 2018.