— par Roland Sabra —
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Le débrayage du 06-12-2011 |
Le 30 avril 2010 Claude Lise, alors Président du Conseil Général mettait fin aux fonctions de Manuel Césaire, administrateur de l’éphémère regroupement CMAC-Atrium et qui de toute façon ne souhaitait pas s’aventurer davantage sur une planche savonnée. Ce n’était là que l’épilogue, provisoire et non définitif, on va le voir, d’un énième épisode de la guerre picrocholine qui agite le vaisseau amarré rue Cazotte à Fort-de-France. Manuel Césaire avait estimé que les entraves du Conseil Général de l’époque à l’accomplissement de ce pourquoi il avait été nommé, « filialement » relayées à l’intérieur de la structure par des enjeux de pouvoir lui rendaient impossible l’accomplissement de sa mission, en conséquence de quoi il préférait jeter l’éponge. Parmi les chausse-trappes, on assista à une grève minoritaire, sept grévistes en tout et pour tout, se conclure en quelques heures par une augmentation de salaire de 150 Euros. Officiellement le conflit avait la forme d’une opposition entre deux projets de fusion des structures du CMAC et de l’Atrium. Claude Lise soutenait la création d’un Établissement Public Administratif ( EPA) qui confortait et renforçait la tutelle politique du Conseil Général sur le nouvel ensemble. Manuel Césaire était favorable à la création d’un Établissement Public à Caractère Industriel et Commercial qui privilégiait l’autonomie et l’indépendance de la culture vis à vis du pouvoir politique.
A la suite de cette démission, le projet de fusion CMAC-Atrium fût mis en sommeil, le CMAC resta sans direction pendant neuf mois et l’Atrium un peu moins longtemps, sans que la programmation ait eu à en souffrir. Laissé à lui-même le personnel s’est autogéré tant bien que mal. Il a assuré une programmation allégée et qui n’était peut-être pas toute entière dans les clous de l’équilibre budgétaire, mais il l’a fait. Et de l’avoir fait il a gagné des marges d’autonomie, des espace d’indépendance. Le pouvoir détestant le vide le Président de la structure a élargi son domaine d’intervention alors même que longueur de son mandat excédait du double ce que prévoient les statuts. Les compétences de l’équipe, par tous reconnues, lui ont permis de prendre des initiatives qu’il sera bien difficile de lui reprendre comme on va pouvoir le constater.
Quand Josiane Cueff prend ses fonctions le 31 janvier 2011 elle débarque donc dans un établissement qui s’est plutôt bien passé de chef pendant une longue période. Elle souffre d’emblée d’au moins trois handicaps. Premièrement elle est nommée à titre transitoire pour une période de 18 mois, ce qui à ce niveau de responsabilité est un non-sens. Alors que la procédure du recrutement a été faite sur le modèle des scènes nationales et à partir d’un projet spécifiquement conçu pour la Martinique. Comment peut-on prendre la mesure d’un tel établissement, d’une configuration si complexe en un temps aussi court ? Comment peut-on espérer donner sa mesure, imprimer sa marque, à une telle machine en un laps de temps si étriqué ?
Deuxièmement, elle n’est pas antillaise. On sait que lorsque concourait Manuel Césaire pour le poste, deux candidats d’envergure furent éliminés au motif, inavoué, d’un éloignement trop grand avec la société martiniquaise. L’un avait été pendant des années directeur du Festival d’Avignon, peut-être fût-il jugé trop blanc ? L’autre sembla trop africain, peut-être fut-il estimé trop noir ? Il est aujourd’hui Directeur de la Scène nationale de… Guadeloupe ! Mais bon ce n’est qu’une mauvaise querelle : chacun sait que les histoires de couleurs n’ont aucune importance en Martinique et qu’elles n’interviennent en aucun cas dans les critères de sélection des candidats et que par exemple, l’apparence caucasienne de la haute administration martiniquaise n’est que le résultat du… hasard ! Les plus pervers diront des compétences inégalement distribuées ! Mais au fait qui disait que l’indépendance ce n’est pas remplacer un maître blanc par un maître noir? Passons.
Le troisième « handicap » de Josiane Cueff tient à ce qu’elle est une femme. Est-il besoin de s’attarder sur ce fait alors qu’il suffit d’observer la répartition sexuée des responsables politiques de la Martinique pour avoir une réponse claire, attristée et définitive à cette question ?
On pourrait objecter à ce constat qu’il y eut pendant longtemps à la tête du CMAC une directrice d’origine hexagonale et que cela invalide ce qui précède. A ceci près qu’elle avait de fortes attaches affectives et familiales martiniquaises depuis plusieurs décennies. Ce qui n’est pas sans importance, sans dire pour autant, ce serait excessif et déplacé, que son mari martiniquais lui a servi de viatique, il a d’autres talents, on ne peut nier que cela a été un atout pour elle ! Surtout ce serait tout à fait machiste que de nier par là-même ses compétences et de ne la définir que comme « femme de… ». La situation n’étant pas la même cette objection ne tient pas.
C’est donc sur un bateau sans capitaine depuis longtemps, et qui s’en est accommodé, qu’une femme, métropolitaine est nommée comme intérimaire pour la période incertaine qui doit conduire à la fusion des deux collectivités. Des habitudes ont été prises, des libertés aussi. Dans la confusion, des activités parallèles semblent se poursuivre avec des sociétés privées.
Qu’elle ait été bien accueillie, comme le déclare le délégué du personnel Jean-Hugues Crater, homme affable et ouvert, nul ne peut en douter. Peut-être se sentait-il plus en affinité avec le Président du CMAC qu’il côtoyait depuis si longtemps qu’avec la Directrice nouvellement nommée? Peut-être y a-t-il eu des affinités de genre, de culture plus développées d’un côté que de l’autre? Peut-être que la remontée des états d’âme du personnel se faisait plus facilement, plus complaisamment (?) vers le Président que vers la Directrice? C’est une des facettes du problème mais ce n’est pas la seule. Josiane Cueff a été bien accueillie certes, mais pour quoi faire ? Pour laisser faire les choses comme si elle n’était pas là? Pour simplement avaliser ce qui se décidait sans elle? Certes pas mais alors comment s’imposer sans en imposer ? Comment se faire une place sans déranger ? Comment diriger sans contraindre ? Comment orienter sans être directif ? Comment avoir de l’autorité sans verser dans l’autoritarisme ? Problèmes que tout dirigeant est censé pouvoir résoudre, puisqu’après tout s’il se porte volontaire pour ces fonctions, c’est qu’il s’en estime capable !
Le malaise est révélé par un débrayage le 06 décembre 2011. « Les employés attendaient d’être reçus par la directrice de la structure pour leur faire part de leur mal-être et demander audience afin de trouver des solutions à « une situation difficile qui dure depuis plusieurs mois », faisaient-ils savoir dans un communiqué. » ( F-A du 08-12-2011). Un leitmotiv revient : manque de concertation, absence de dialogue, autoritarisme et penchant à prêter l’oreille aux incitations à distendre les liens entre l’Atrium et le CMAC. On apprend alors que le Président bénévole du CMAC a démissionné le 03 novembre 2011. Au delà d’une compulsion de répétition actualisant tout en la déplaçant, il faut pouvoir être dupe de soi, une situation déjà vécue, grève, lutte des places etc. ( cf infra), il y a un vrai problème qui fait résistance.
Que des maladresses aient été commises, sans doute, que des enjeux de pouvoir traversent l’institution c’est tout à fait certain. Il suffit de lire les déclarations de Félix Chauleau, le Président démissionnaire du CMAC, (F-A du 06-01-2012) pour s’en rendre compte. Il y a là quelque chose de dérisoire et pathétique dans les reproches qui sont formulés.
Par exemple, le choix d’une programmation annuelle, pourtant retenue lors de la procédure de recrutement de la Directrice et donc validée par la tutelle, serait l’expression d’une tendance à « nier [la] spécificité (martiniquaise) », le CMAC deviendrait par ce seul fait « un outil de colonisation, de négation de [cette] spécificité ». Tant pis si la programmation est composée de près de 60% de spectacles d’origine martiniquaise. Lè yo vle touye on chen, yo di’l fou. Voilà pour le dérisoire. Le pathétique suit immédiatement avec cette déclaration « Le problème c’est que la directrice considère qu’elle a tous les pouvoirs et qu’elle est au-dessus de tout-le-monde. Résultat, elle a conduit toute seule, alors que son salaire était concerné, les négociations annuelles obligatoires. Elle s’est octroyée à elle et à tout le personnel 3% d’augmentation! C’est extrêmement grave. Ce sont les bénévoles, et le président du conseil d’administration qui peuvent prendre ces décisions. » Qu’importe le caractère obligatoire des négociations annuelles, qu’importent les obligations de la convention collective, qu’importe ce qui a été décidé seule compte l’origine de la décision. Pour être un peu plus complet on rappellera au lecteur que ces négociations ( N.A.O) n’avaient pas eu lieu en 2010 et que l’augmentation de salaire se résume à une acceptation par la direction d’une hausse de 2.5%, dont près des deux tiers (64% en valeur relative) est une revalorisation syndicale obligatoire! Et Félix Chauleau de poursuivre, « djab pa ka dômi« , sur un autre registre « du point de vue de la programmation, le Cmac est confronté à un problème explosif » Ah bon ! De quoi s’agit-il ? Dédé Saint-Prix et Mario Canonge n’ont pas été programmés ! Alors là on reste coi ! Que la programmation ne relève pas des compétences du Président du CMAC, n’a pas d’importance le scandale en lui-même est énorme, « explosif ». Pensez-donc ! Dédé Saint-Prix, dont le spectacle a déjà été présenté en Martinique et Mario Canonge non disponible aux dates raccourcies du festival n’ont pas été programmés ! Voilà pourquoi « Le CMAC est devenu inexistant » ( Chauleau, F-A ibid.). Tout le reste de l’interview est à l’avenant, mais bon, tout ce qui est excessif est insignifiant. N’est-il pas?
Et voilà le CMAC transformé en bateau ivre, saoulé de batailles de pouvoir, alors même que le réel renouvellement de la programmation, musicale, théâtrale, cinématographique est salué par le public dont la fréquentation à rarement été aussi dense. Qu’il y ait à ce propos matière à discussion c’est ce que nous réclamons, c’est ce que nous mettons en œuvre en émettant des avis, des remarques, des critiques sur ce qui nous est proposé. Quant au reste souhaitons que la directrice actuelle ne confonde pas main de fer dans un gant de velours et main de velours dans un gant de fer, espérons que les caciques installés dans des positions acquises de longue date cèdent enfin la place aux générations montantes. Et si la tutelle voulait bien recadrer les choses en rappelant à chacun son rôle et sa fonction en s’assurant que « chak bef konnet pitjet-yo« , cela contribuerait peut-être au dépassement des vieilles peurs de la nouveauté, du changement, de la confrontation à ce qui dérange et à l’ l’ouverture.
Roland Sabra le 08-01-2012 à Fort-de-France