—Par Selim Lander —
Cela faisait plaisir de voir la grande salle de l’Atrium bien remplie pour un spectacle musical qui nous change des chanteuses et chanteurs dits sans doute à juste titre populaires mais dont les mélodies, il faut bien le reconnaître, ne vont pas chercher bien loin. La présence de tant de spectateurs pour Les Noces de Figaro est la preuve, si besoin était, qu’il existe en Martinique un public non négligeable pour la « grande musique. N’y a-t-il pas d’ailleurs sur notre île une tradition pour l’art lyrique, de Christiane Eda-Pierre à Fabrice Di Falco ? Tout cela pour dire que nous attendons davantage de spectacles du même genre. Sans doute ai-je dû déjà écrire quelque chose de semblable : bis repetita placent.
Ne rêvons pas : déplacer une troupe et un orchestre d’opéra au complet pour interpréter les Noces comme cela se fait à Paris ou à Aix-en-Provence serait financièrement totalement déraisonnable. On ne dira pas pour autant que ce qui nous fut donné à voir fut un spectacle au rabais, d’ailleurs monté par un metteur en scène d’originaire de la Martinique et pas seulement puisqu’il y a effectué toute sa scolarité, de l’école primaire de Trénelle jusqu’au lycée Schoelcher avant de s’envoler pour la capitale. Avec la troupe Opéra clandestin, Hervé-Claude Ilin propose une version mi-théâtre (Beaumarchais, en français) mi-opéra (Mozart-Da Ponte, en italien). La distribution est réduite (six chanteurs-comédiens pour sept personnages) tandis que « l’orchestre » se résume à un trio (piano, violon, violoncelle). Les parties chantées alternent avec des intermèdes de pur théâtre. Mais ce dernier est en réalité tout le temps présent. Certes, les mises en scène d’opéra se sont modernisées et les chanteurs ne sont plus cantonnés dans une attitude hiératique, face au public, pour lancer leur « air ». Ilin va plus loin ; il a des innovations radicales, celle qui l’est le plus étant sans doute de nous présenter une comtesse (Lucie Emeraude), au début enceinte et à la fin avec son bébé dans les bras. Autre exemple, Cherubin commence son air, sans doute le plus célèbre de l’opéra, Voi che sapete che cosa è amor, Donne, vedete s’io l’ho nel cor, … (Vous qui savez ce qu’est l’amour, Femme, voyez si moi je l’ai dans le cœur, …) en bégayant avant de se reprendre, tellement il est ému. Sophie de Guerry donne à ce même Cherubin l’allure d’un petit voyou qui n’a peur de rien, en survêtement et casquette sur la tête. L’apparition du comte, Jean-Fernand Setti – aussi grand de taille que S. de Guerry est courte (comme nous disons ici), ce qui produit déjà un effet comique – en peignoir et jambes nues fait également sensation. De même que Guillaume Figiel-Delpech qui campe un Don Basile échappé de la case aux folles. Ce ne sont que des exemples d’une mise en scène passablement déjantée pour notre plus grand plaisir.
Sur le plan purement musical, la prestation est plus qu’honorable. L’orchestre réduit à trois instruments s’avère suffisant ; il donne évidemment à la musique une couleur très différente de celle produite par un grand orchestre. Quant aux chanteurs, tous comédiens pleins de prouesse, ils nous ont, à commencer par Ravij Cerezo Chugani dans le rôle titre, ravi également par leurs voix, même si l’on sentait parfois chez Suzanne (Sonia Menen) ou Cherubin un manque de puissance.
Tropiques-Atrium, Fort-de-France, 3 mars 2023.