— Par Steve Gadet, sociologue —
« Tout ce que je fais c’est du rap. Mon plus gros crime c’est de parler fort, de ne pas fermer ma gueule » . Ce sont les paroles de Tupac alors qu’il se tenait à l’extérieur du tribunal où son procès avait lieu courant 1994 ou 1995. Il a aussi dit : « Je sais être responsable de ce que j’ai fait mais je ne sais pas être responsable des actes de tous les hommes noirs au Etats-Unis. Ce n’est plus mon procès. C’est le procès du rap, de ma personnalité » .
Récemment, RCI a fait un sujet pertinent sur la Trap Music. Il y a eu plusieurs réactions. Les fans et les artistes Trap ont balayé d’un revers de main ce qu’ils considéraient comme une intrusion et des critiques inutiles de la part de gens qui ne comprennent rien et qui leur veulent du mal, des « haters » . De l’autre côté, on a vu des gens dire « On devrait interdire cette musique et tous les foutre en prison. Cette mauvaise graine n’apporte rien de bon au pays » .
Premièrement, c’est une bonne chose que les médias mettent le nez dans tous les sujets de société. Tous, même les plus tabous, surtout quand la société estime que certaines attitudes, certaines valeurs sont problématiques.
Deuxièmement, il nous faut trouver le juste milieu parce que ces deux attitudes ne nous permettent pas de régler les problèmes qui nous concernent. Il nous faut travailler des deux côtés, pas seulement condamner les artistes mais aussi comprendre les conditions sociales, éducatives, familiales qui donnent naissance aux poètes de la négativité. Nous devons comprendre aussi que paradoxalement, cette musique apporte de l’espoir et des objectifs à beaucoup de gens. Les artistes doivent réaliser l’étendue de leur pouvoir même si on ne peut pas leur demander de remplacer les parents, les enseignants, les associations, l’église, tous ces cadres qui guident nos plus jeunes. Humblement, nous devons reconnaître que ces artistes sont une force avec laquelle on doit compter.
Quel jeune ne s’est jamais senti en décalage avec la société qui l’entoure?
J’encourage souvent les artistes à sortir de Youtube, à déposer leur cap d’artistes et à aller à la rencontre de leur public. Avoir des face-à-face avec eux en tant qu’être humain. Répondre à leurs questions, parler de leur parcours, de leurs conditions de travail, de créativité, des défis qui vont avec la vie qu’ils mènent. N’importe quel artiste qui prend le temps d’échanger avec ceux et celles qui l’écoutent ne reste pas le même. Celui ou celle qui constate l’impact de sa musique ne reste pas le/la même. Il/elle évolue, mûrit. Demandez à ceux qui vivent cela, des plus grands aux plus petits, des plus connus aux moins connus, ils vous diront que ces rencontres les ont transformé. Parfois en bien, d’autres fois en mal. Certains ont été indifférent(e)s. D’autres n’en ont tout simplement rien à faire. Certaines choses dans le monde ne sont pas blanches ou noires, point barre. Il y a des zones d’incertitude et d’insatisfaction.
D’un autre côté, en les respectant, nous devons montrer de manière créative à ces artistes et ceux qui se sentent représentés par eux qu’ils font partie de la société, du pays. Cette appartenance leur donne des droits mais aussi des devoirs. Les procès des artistes mis en cause par la justice ont montré ce qui peut se passer lorsqu’on ignore le cadre imposé par la société. Souvent, un sentiment de non-appartenance a nourri leur manière de voir la vie. Ce sentiment ne nait pas par magie, parfois il vient de causes réelles. D’autres fois, c’est un sentiment subjectif favorisé par leur jeune âge. Quel jeune ne s’est jamais senti en décalage avec la société qui l’entoure ? Qui, ayant été jeune, n’a jamais ressenti l’envie de renverser le monde et le faire tourner dans un autre sens ? Martin Luther King disait que toute société qui bâtit un projet sans nourrir le sentiment d’appartenance de sa jeunesse construit un projet dangereux. Regardons les comme on veut mais ce sont nos nièces, nos neveux, nos enfants, nos voisins, etc…
Les inégalités de toutes sortes ne font pas du bien au pays. Personne n’est à l’abri des répercussions donc nous avons tous intérêt à les réduire. Personne, peu importe la religion, le lieu d’habitation, l’appartenance ethnique et raciale ou encore l’activité professionnelle. Quand on rajoute, des éléments subjectifs et personnels, on obtient une formule toxique, dangereuse comme de la nitroglycérine. Pas de formule magique pour s’en sortir. On a besoin de tout le monde. Par exemple, ceux et celles qui ont du capital devraient se rapprocher des organisations efficaces, de ceux et celles qui ont des idées et les aider à traduire leurs projets en actions concrètes pour transformer des vies, transformer des environnements. Ça prendra du temps. Si on ne fait rien d’original, ça va empirer. Les poètes et les poétesses de la négativité ne vont pas « disparaître » autrement…
Steve Gadet, sociologue