« On Bò a 2 Lans » de José Jernidier et Sylviane Telchid

 

 — Par Alvina Ruprecht —

 on_bol_a_2_lansPrésentée au Centre des Arts de Pointe-à-Pitre,7 novembre, 2007, première manifestation d’une tournée qui amènera l’équipe autour de la Guadeloupe et à Paris.

 L’histoire théâtrale nous montre que la comédie n’est pas un art mineur. Bien au contraire. Dans le contexte européen, le théâtre de la foire était le lieu privilégié des mimes grotesques et clownesques, l’origine du théâtre populaire qui servait de soupape de sécurité contre les mouvements contestataires dans les sociétés féodales. En Italie, il y a eu surtout la Commédia dell’arte, des acteurs itinérants connus à travers le continent qui ont laissé des traces profondes sur les premières créations de Molière, sur son panthéon de personnages inspirés souvent des types de la Commédia, et surtout sur ses premieres conceptions scéniques basés sur un jeu très gros, très physique, très codé. La Commedia était un théâtre de mime et de mimique sans véritable dialogue mais qui avait recours aux bruitages, aux onomatopées, aux sonorités de toutes sortes. Rien de plus vulgaire que ces grognements, ces cris, ces rots, rien de plus corporel, de plus bruyant, de plus chaotique que les lazzi de la Commedia qui rendent hommage aux jeux du bas du corps populaire que Bakhtine a théorisé (le Carnavalesque) dans son livre sur Rabelais.

 À notre époque, les œuvres de Dario Fo, prix Nobel , se déroulent dans les lieux populaires et traitent des situation quotidiennes, telles que la vie de ceux qui ne peuvent payer leur loyer. Tout son théâtre est alimenté d’une tradition corporelle, interprétée par des acteurs qui sont toujours bien rompus au mime et à ces traditions issues de la culture populaire. Actuellement en France, même un comique « solo » comme Dieudonné attire la colère des uns et l’adulation des autres par son humour agressif. Qu’on apprécie ou non son style, il est à l’avant-garde d’une nouvelle forme de comédie « racialisée » qui entraine les « opprimés » de la société française et donne une voix à la nouvelle culture métisse en train de transformer la manière dont le monde voit la France et dont la France se regarde elle-même.

 Mais, revenons à la Caraïbe où certaines pièces de Frankétienne (voir surtout Totolomannwèl ), joué par l’auteur en solo, montre l’auteur-comédien qui exhibe le corps de l’acteur en plein délire de vulgarité. Le « Koutfouk » du tortionnaire, ce monstre de virilité, ce « gwenn krazé » qui terrorise l’artiste, est un des protagonistes les plus puissants de tout son panthéon de personnages haïtiens touché par les créatures de la nuit vaudouesque qui agissent fortement sur l’imaginaire de l’auteur. L’acteur/auteur excite la salle par la rage de son jeu moqueur, par la force de sa critique politico-artistique. C’est ainsi que le public haïtien, où qu’il soit, suit Frankétienne jusqu’au bout de sa critique d’un régime meurtrier qui « baise » non seulement ses artistes mais aussi toute voix contestataire.

 Et comment oublier le jeu du Jamaïcain Oliver Sammuels au Barn Theatre (Kingston Jamaica) ou sur la scène de l’Université Carleton (Ottawa), dont les monologues évoquent les parallèles évidents avec le travail d’ Elie Pennont (Martinique) ou de Julien Barlagne (Guadeloupe). Sammuels est perçu comme un trésor national à la Jamaique, l’acteur qui s’exporte aux pays anglophones pour montrer ce qui se fait sur la scène « populaire » de son pays . Il a créé le rôle du servant dans la pièce de Derek Walcott (Pantomime) où il joue le valet qui devient le maître de son « maitre » et mène le jeu de cette parodie du Maître/esclave qui subvertit tout un pan du théâtre britannique. Ce spectacle est devenu légendaire dans les annales du théâtre de la Caraïbe anglophone. Même si d’aucuns croient que l’acteur comique a quelque peu exagéré le jeu, les répercussions de ce spectacle sur le public ne seront pas oubliées de sitôt car il a provoqué dans la salle une agitation qui ressemblait à celle soulevée par Frankétienne lors de sa démolition figurative du bourreau sadique dans Totolomannwèl. Notons également le genre théâtral intitulé « Yard play » dans la tradition anglophone, le théâtre créé dans la cours d’un voisinage qui reflète la vie partagée par un microcosme de la société caribéenne mais qui s’oriente souvent vers la farce, selon Bridget Jones. Elle en parle longuement dans son texte : « Comment identifier une pièce de théâtre de la Caraïbe » (Les theatres francophones et créolophonse de la Caraïbe, A.Ruprechrt (ed.), Paris, l’Harmattan, 2003, p. 48)

 Mais qu’est-ce qui se passe avec la comédie populaire en Guadeloupe? Elle est en bonne santé puisque les pièces surgissent régulièrement sur la scène du Centre des Arts et sur DVD dans les grandes surfaces de Cora ou Continent.

 Seulement voilà le problème. La société guadeloupéenne semble avoir honte de ses acteurs comiques, surtout les plus brilliants, les plus accomplis. On fait semblant que la comédie n’existe pas, même si elle attire les foules et suscite un enthusiasme pour le « spectacle vivant » que le théâtre de répertoire a du mal à émuler. Si la popularité n’est pas nécessairement un critère de la réussite artistique, le milieu théâtral et ceux qu suivent le « théâtre » dans la région ne peuvent ne pas tenir compte d’une activité qui compte un ensemble de comédiens qui peaufinent leur jeu, des metteurs en scène qui réfléchissent sur leur travail et les auteurs qui essaient, entre autre chose, d’établir un rapport très particulier avec la salle, et un répertoire de textes dramaturgiques en créole qui se constitue petit à petit. Voici sans doute, l’élément le plus important de toute cette création scénique.

 En effet, depuis des années, l’auteur guadeloupéen José Jernider, construit ses vosinages du petit peuple que le public reconnaît et dont le grand public partage les angoisses et les problèmes personnels et collectifs. Le public reconnaît les mêmes acteurs qui inévitablement s’identifient aux personnages, que les comédiens approprient déjà comme les leurs, et le public est ravi de se retrouver entre amis. La dynamique est très particulière mais, il va sans dire qu’elle remplit un vide Voilà que Jernidier, refait son « Yard Theatre » à la franco-creolophone.

 Et puis, ne pourrais-t-on pas y voir un parallèle entre la famille des personnages du Plateau de Montréal créée par le québécois Michel Tremblay – Les Belles sœurs – et le voisinage de Koubari où on reconnaît les mêmes personnages qui reviennent peupler d’autres pièces (Vin Vann ou Mal Maké) .N’est-ce pas dans ce sens que Philipe Adrien a revu et corrigé Les noces chez les petits bourgeois de Brecht, alors qu’il a transformé cette guerre de classe en rencontre familiale qui finit dans la farce chaotique, sans vraiment aller aussi loin dans la symbolique idéologique de l’original.

 Qu’en est-il d’ On bòl, a 2 lans? Il y a d’abord un texte composé de scénettes, indépendantes et mené par une situation qui donne son impulsion à tout le processus.

 Un couple revient de sa fête de mariage et s’apprête a passer sa nuit de noces. Mais d’abord il faut tout de même jeter un coup d’œil sur les cadeaux qui sont entassés à droite et à gauche , emballés du papier multicolore. En fait, ces « objets » envahissent la scène et dominent le mouvement de la pièce car ils deviennent signes non seulement de la consommation qui s’imposent dans la vie affective du couple mais aussi ils renvoient aux rapports difficiles avec les membres de la famille, des amis et des voisins. Ainsi, contempler les cadeaux permet de passer en revue toute un microcosme social, un peu à la manière de Moun Koubari. En effet, José Jernidier, exploite les structures dramaturgiques semblables. Une suite de rencontres révélatrices qui transforment le public en voyeurs curieux et légèrement sadiques puisque que nous sommes amenés à nous moquer du malheur des personnages qui sont prisonniers des circonstances plutôt peinibles.

 La pièce nous incite à rentrer dans l’intimité de ces pauvres voisins, à voir ce qui s’y passe vraiment, à jouir des difficultés des autres et à développer un goût de l’interdit, de ce qui est habituellement caché ou inavoué. Ce reflexe exploité par le théâtre « naturaliste » a une autre signification ici puisqu’il s’agit de ceux que le spectateur reconnaît, et même de soi-même. Mais, est-ce pour cela que le public ne veut pas avouer qu’il aime ce théâtre et qu’il y assiste avec plaisir ? Serait-ce trop honteux de voir étaler ses propres faiblesses en public? Enfin, on pourrait dire énormément sur ce texte qui prolonge un genre qui n’est pas assez pris au sérieux.

 De ma propre perpsective, en tant que non créolophone, j’avais l’impression qu’au fond, le texte n,était pas très drôle, même lorsque le petit ami entre un peu comme un cheveux dans la soupe, mettre son nez dans l’intimté du couple. Si la salle hurlait de rire, c’était surtout le jeu des comédiens qui transformait le texte en moments de rigolades incontrôlables. En effet, nous avions l’impression que le public vienne voir les comédiens (déjà très connus ) autant que les personnags puisque tout le monde en scène fait partie lui aussi, du grand voisinage de la Guadeloupe.

 Pour ce qui est du spectacle, chaque acteur a fait preuve d’un style personnel et c’est autant le choc des styles que les blagues verbales (improvisées ou non? Il s’agit quand même d,une adaptation de Sylviane Telchid dont le travail sur le répertoire créole est très connu) qui sont à l’origine de l’humour.

 Lilian Magoudoux était tellement relax que nous avions l’impression qu’il ne jouait même pas, mais qu’il improvisait tout son discours sans faire le moindre effort pour passer la rampe. Il « était » tout simplement. . Son attitude à la fois naive, relaxe et et détachée, provoquait un malaise étrange et faisait ressortir l’absurdité de la situation.

 En revanche, Joel Jernidier, celui qui a l’expérience du théâtre sérieux, et surtout l’expérience de la lecture poétique, nous a rendu très conscient de sa qualité d’acteur. Il a travaillé son personnage et son texte. Il nous a montré qu’il sait manier les rythmes, moduler sa voix et contrôler ses gestes. Il ralentit, il accélère, il met en évidence, il insiste, il se détache et s’amuse, et élève sa voix et l’ adoucit selon les émotions du moment. Il joue avec la salle comme un musician maniant ses instruments et il obtient les sonorités et les réactions les plus douces, et les plus appropriées.

 Quant à Norlize Felicianne, elle a plutôt montré son manque d’expérience par le fait qu’elle ne sait pas se controler. Il est évident que le metteur-en-scène aurait pu la prendre en main mais, il paraît qu’il n’avait pas envie de le faire et le spectacle en a souffert. Mme Félicianne hurle, elle crie, elle s’énerve, elle entretien un état d’excitation hystérique quasi permanente qui diminue beaucoup la portée de son jeu. Ces réactions surexcitées ne sont que des maniérismes, des tics de comédiens qui tuent toute trace d’individualité de son personnage. Sans la moindre changement de débit, de tonalité, de rythme, le jeu devient fatigant. Et pourtant, la mariée n’est pas un personnage sans intérêt. Elle est quand meme une femme qui souffre des infidélités de son mari, sa vie n,a pas été facile et elle est devenue très vulnérable et méfiante. Le personnage n’est pas du tout une caricature malgré son jeu . Et malheureusement, par ses crises d’hystérie continuelles, le public n’est pas touché par ce personnage. Nous ne sentons ni la vulnérabilité de la femme ni son statut de victime, elle devient le caricature d’une mégère, un personnage banal, stéréotypique qui n’a aucun fond humain Cette comédienne dessert mal le personnage afin d’obtenir quelques rires faciles. Un ton sec, une ironie mordante et moins exhibitionniste aurait fait beaucoup mieux l’affaire et apporté un brin d’humanité à ce personnage mais son interprétation scénique a évacué toute l’ humanité de son jeu.

 Voilà le problème car la comédie ne repose pas sur le vide. Elle naît des faiblesses de l’homme et un spectacle comique s’élève au niveau du bon théâtre quand il nous permet d’entrevoir ces faiblesses.

 Alvina Ruprecht

 Centre des Arts et de la Culture, ¨Pointe-à-Pitre, Guadeloupe

 Novembre , 2007

De José Jernidier et Sylviane Telchid

Mise en scène José Jernidier

Distribution :

La Mariée Norlize Felicianne Reinette

Le Marié. Joel Jernidier

L’ami (Tikam) Lékouz Lilian Magoudoux

Une production du « J.P Show » (Jean Pierre Sturm)