« On est porté par l’énergie de l’espoir »
Finalement, Olivier Py dirigera un Festival de plus. Ainsi en a décidé la pandémie. La 75e édition de ce festival, qu’il pilote depuis 2014, devait être pour lui la dernière. Mais, en cette période tourmentée, la Ministre de la Culture Roselyne Bachelot a jugé bon, à l’automne, de le maintenir pour une année supplémentaire à la tête de la manifestation, celle de l’année 2020 ayant été annulée. L’auteur-metteur en scène aura donc assumé finalement, si tout va bien, huit étés avignonnais… Il ambitionne pour juillet 2021, la tenue d’une édition « exceptionnelle, de relance et de combat ». Un festival animé d’un fort désir de penser le monde dans le temps d’après : il y serait question d’utopie, de dystopie, d’apocalypse parfois, dans un esprit qui s’apparente souvent à la science-fiction. « Se souvenir de l’avenir » est d’ailleurs la bannière du festival 2021. Elle a beaucoup plu à Edgar Morin, qui la reprend pour la soirée du 13 juillet dans la Cour d’honneur. Beau geste de la part d’un penseur qui entre dans sa centième année !
Prévu du 5 au 25 juillet dans la Cité des Papes, le festival de théâtre, le plus prestigieux au monde avec celui d’Edimbourg, n’a pas réduit la voilure pour cette année, malgré les incertitudes qui planent sur les jauges prévues dans les nombreuses salles de la ville. Lors d’une conférence de presse, mercredi 24 mars, Olivier Py a dévoilé la programmation de cette édition 2021. Dans une vidéo enregistrée avant son hospitalisation et diffusée en début de la conférence de presse, Roselyne Bachelot, testée positive au Covid-19, a dit ne pas douter de la tenue du festival : « La saison se tiendra et elle nous émerveillera. Je formule le voeu que cette 75e édition du Festival d’Avignon soit celle du jeu théâtral retrouvé (…) je m’en régale par avance ».
Des artistes qui acceptent de se projeter dans l’utopie
Beaucoup d’artistes femmes, soit 46 % , seront plus que jamais présentes, qui dans leurs spectacles nous parleront de la condition des femmes et du féminisme. Citons Laëtitia Guédon, Marie NDiaye, Mylène Benoît, Lola Lafon et Chloé Dabert…
En montant La Cerisaie, de Tchekhov, dans la Cour d’honneur, le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues raconte les inquiétudes liées au passage d’un monde vers l’autre. Quant à la Brésilienne Christiane Jatahy, elle met en scène directement l’histoire de communautés utopiques, en inaugurant le festival avec Entre chien et loup, un spectacle sur une femme qui fuit le fascisme, d’après le film de Lars Von Trier, Dogville. Caroline Guiela Nguyen travaille sur la fraternité dans un monde devenu apocalyptique. Fabrice Murgia s’intéresse aux effets d’une pilule capable de supprimer le sommeil, dans une phase ultime du capitalisme qui verrait les hommes travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le collectif anversois FC Bergman imagine un mouton dont le désir est de devenir un homme. Et la Belge Anne-Cécile Vandalem contera « l’échec d’une utopie… un monde en train de disparaître, que les plus jeunes devront réinventer ». Cette présence de l’utopie, traitée sur le mode de la science-fiction par beaucoup d’artistes, « est à mettre au compte de l’année d’immobilisme que nous venons de vivre. »
D’autres propositions très alléchantes sont inscrites au programme : Royan de Marie N’Diaye avec Nicole Garcia ; La dernière nuit du monde de Laurent Gaudé, mis en scène par Fabrice Murgia ; Le Mur Invisible avec Lola Lafon, mis en scène par Chloé Dabert ; un spectacle itinérant, Mister Tambourine man, de Karelle Prugnaud avec Denis Lavant, et l’artiste espagnole Angélica Liddell qui donnera une pièce sur le matador légendaire, Juan Belmonte.
L’essentiel des spectacles montrés sera composé de créations. Laëtitia Guédon, originaire de la Martinique, portera un texte de Marie Dilasser autour de la figure mythique de Penthésilée. Déjà prévue pour Avignon 2020, elle était attendue à Fort-de-France, mais en raison de la pandémie, elle n’a pas pu y donner cette année-là son spectacle ! Alice Laloy proposera une réflexion autour du transhumanisme et de la figure de Pinocchio.
Par ailleurs, plusieurs disparus se verront rendre un hommage : l’acteur et metteur en scène Antoine Vitez, le torero Belmonte, tandis qu’Éva Doumia proposera aux spectateurs de partager un repas de deuil, dans un spectacle intitulé Autophagies.
Côté danse, différentes générations et écoles de la danse contemporaine seront au rendez-vous, de la Française Maguy Marin qui commencera le 7 juillet à la Sud-Africaine Dada Masilo, en passant par l’Espagnol Marcos Morau à qui a été confiée la deuxième Cour d’honneur. Si dans la Cour la danse arrive toujours dans la deuxième période du festival, c’est « pour une raison simple : le temps de montage des spectacles de danse est toujours plus court. Pour le théâtre, on doit anticiper davantage ». Sont prévues également des lectures avec les acteurs Omar Sy, Fabrice Luchini, Sandrine Bonnaire, et le sociologue et philosophe Edgar Morin qui fêtera ses 100 ans en juillet.
Quant à Olivier Py, il prendra en charge le feuilleton théâtral quotidien de midi – gratuit et toujours populaire – au jardin Ceccano : « Les dix épisodes seront préparés en amont. Hamlet en est le sujet. J’ai mis en scène ce personnage mythique à l’opéra (la version d’Ambroise Thomas) et j’ai travaillé la pièce dans mes ateliers en prison. Depuis une dizaine d’années, Hamlet m’accompagne et un ouvrage va paraître bientôt (éd. Actes Sud) où je recense tout ce qui a été écrit sur lui par les philosophes du XXe siècle. Chaque épisode aborde une thématique : l’être et le non-être (sa fameuse tirade vue par Sartre ou Heidegger), la figure de Hamlet en psychanalyse avec Freud et Lacan, l’impossibilité de l’action avec Derrida… »
Une organisation particulière
Afin d’étaler le nombre de spectateurs dans le temps, le festival 2021 comptera un jour de plus, trente levers de rideau supplémentaires, et donc 20.000 places en sus à la vente – qui pourrait commencer le 5 juin. Interrogé sur le protocole sanitaire, Olivier Py a indiqué qu’il « valait mieux se faire vacciner ou être testé négatif » mais uniquement « sur la base de la responsabilité individuelle des spectateurs ». Il a assuré qu’il n’envisageait pas d’annulation ni de report. Se disant confiant et raisonnablement optimiste, il travaille avec la Préfecture, la Municipalité d’Avignon et le Ministère, sur trois scénarios envisageables : le premier serait une jauge normale – et on a encore le droit de l’espérer –, le second serait un festival avec une jauge réduite et le troisième, ce serait la possibilité d’une jauge réduite pour les lieux fermés, mais normale pour les lieux à ciel ouvert. « La situation a changé par rapport à l’année dernière, on n’est pas pris de court cette fois… On se tient prêt. On commencera, comme d’habitude, à monter la Cour d’honneur du palais des Papes dès la mi-avril (avec de nouveaux gradins en remplacement de ceux qui avaient 20 ans, où les flux des deux mille spectateurs seront améliorés). Par ailleurs, la municipalité d’Avignon et la préfecture travaillent ensemble avec une grande énergie à le rendre possible de manière concrète. Avec des tentes de dépistage à l’entrée de la ville et des sens de circulation pour fluidifier le public. Je sens bien que l’idée d’annuler est, pour eux aussi, inenvisageable». Un événement qu’Olivier Py veut public, « car un festival cantonné aux pros serait contraire à l’idée même d’Avignon. Il perdrait son sens, car il n’est pas un grand marché du théâtre, aussi brillant soit-il, mais un événement dont le public est le centre. »
Rappel : Le Festival d’Avignon, dit le “IN”, a été fondé en 1947 par Jean Vilar. Parallèlement, le “OFF”, qui rassemble chaque année près de 1.500 spectacles, s’est dit également « optimiste » pour cet été. Sébastien Benedetto, président de l’association qui gère l’évènement, mais qui contrairement à Olivier Py ne donne pas la ligne de programmation, a indiqué à France-Culture qu’il faudra probablement réduire le nombre de représentations.
Janine Bailly, selon les sources : FranceInfo, Le Point-Culture et Télérama
Fort-de-France, le 25 mars 2021