—Propos recueillis par Fabienne Pascaud—
ENTRETIEN | A deux jours du second tour des municipales qui pourrait voir le FN ravir Avignon, Olivier Py, le nouveau patron du festival, revient sur ses propos engagés qui ont déclenché la polémique.
Il est le nouveau patron du 68e Festival d’Avignon, dont il vient justement d’annoncer une programmation 2014 centrée sur le texte – contemporain et classique – et ouverte aux compagnies étrangères dérangeantes et ambitieuses. Autant dire un programme culturel choc. Pur et dur. De quoi réagir fortement au ravageur score du Front National, en tête au premier tour des municipales (29,63% des voix), et dont on sait le peu de passion pour la création. Si le candidat frontiste gagnait dimanche 30 mars au soir, Olivier Py a immédiatement affirmé en début de semaine qu’il refuserait toute collaboration avec cette nouvelle municipalité. Le Festival 2014 serait maintenu mais délocalisé dès 2015, si le Conseil d’Administration – dont il demanderait la réunion extraordinaire dès lundi 31 mars – l’y autorise. Sinon il démissionnerait. Quelques jours de réflexion plus tard, retour sur ces propos…
Délocaliser le Festival, n’est-ce pas en priver les Avignonnais, et renforcer encore le sentiment d’abandon, d’exclusion que peuvent éprouver les électeurs frontistes ?
Mais le festival est déjà délocalisé ! A la carrière de Boulbon, à Vedène, à Villeneuve-lès-Avignon ! Ce que j’envisage est juste de travailler – hors les remparts avignonnais – avec des lieux habituels du Festival mais qui ne dépendent pas de la mairie. Et même chose intra-muros. La nouvelle Fabrica créée par mes prédécesseurs ou le Collège Saint Joseph sont, par exemple, dans ce cas…
Mais le Festival reste ancré dans l’imaginaire collectif dans certains lieux phares de la ville. Peut-on le concevoir sans la Cour d’Honneur du Palais des Papes ?
Le Festival d’Avignon c’est des idées, pas des pierres ! La culture n’est pas un divertissement bourgeois mais une arme politique.
Comment ça ?
Elle doit ouvrir à l’autre, à la différence, à l’étranger. Jean Vilar lui-même – qui fonda le festival en 1947 – n’aimait pas ce terme « Festival » ; il aurait voulu lui substituer celui de « Rencontres »…
“Personne n’a le droit
de culpabiliser les créateurs
ou les intellectuels.”
Vous évoquez Vilar et la longévité du Festival. Justement l’étonnant score du FN à Avignon ne signe-t-il pas un échec ? Depuis 68 ans qu’il existe, il semble que les artistes invités un mois durant n’y soient pas parvenus à ouvrir les esprits…
Pas de paternalisme ! Les artistes n’ont pas à guider ni former qui que ce soit. Les adultes sont responsables de leur vote. Personne n’a le droit de culpabiliser les créateurs ou les intellectuels.
Mais vous-même, démissionner au lieu de se battre sur place n’est-ce pas une certaine forme de lâcheté ?
De Gaulle est parti à Londres, c’est Pétain qui est resté… C’est Pétain qui croyait à une résistance possible sur place… Pour moi, Le Pen et Vilar sont irrémédiablement incompatibles. Je ne veux pas, en laissant en l’état le Festival, en y restant sans rien changer si surgit une municipalité frontiste, risquer qu’il soit récupéré, devienne un alibi, une caution démocratique du Front National.
Vos déclarations au lendemain du premier tour visait-elle à réveiller les 42% d’ abstentionnistes des élections avignonaises ?
Je n’avais pas de stratégie politique. Le lundi matin, quand Avignon s’est réveillé après les résultats de la nuit, la ville était sous le choc. Eberluée. Nous n’imaginions jamais possible pareil vote. Car on vit bien à Avignon. C’est une cité ouverte à l’autre, à l’étranger, à l’international depuis des siècles. C’est l’Italie, l’Espagne, le Maghreb réunis. C’est toute la Méditerrannée ! Avignon se trahirait elle-même en passant aux valeurs de l’extrême-droite. Elle trahirait son identité. C’est pour ça que je n’arrive pas à y croire pas vraiment. Que je ne veux pas y croire.
Seulement la droite s’est bêtement entre-déchirée pour la succession de Marie-Josée Roig, mairesse UMP depuis 1995. Elle n’a pas anticipé la victoire potentielle d’un candidat FN parachuté, Philippe Lottiaux… Personne n’y croyait, personne ne l’a vu venir, la gauche non plus.
Pourtant la pauvreté augmentait, le chômage, l’exclusion dans les quartiers et le dégoût de la classe politique embourbée dans les affaires… J’ai voulu quant à moi donner immédiatement une réponse pragmatique. Dans un festival où les subventions municipales (28%), les employés municipaux sont totalement imbriqués dans la vie du festival, toute résistance est illusoire. Il faut juste dire « non ! ». Partir. Il n’y a pas trente-six solutions. J’ai réagi en républicain, même pas en homme de gauche. D’ailleurs, de ce côté-là les réactions à mes déclarations m’ont déçu.
Pourquoi ?
La gauche préfère cacher la poussière sous le tapis. Ne rien dire de peur de perdre un électorat populaire, de le stigmatiser, genre : « Ils ne savent pas ce qu’ils font… ». Moi je dis que les électeurs sont responsables, je ne les infantilise pas, je ne les traite pas avec condescendance. Je ne pratique pas la haine non plus, je dis simplement : « Je ne suis pas d’accord. »
En savoir plus sur http://www.telerama.fr/scenes/olivier-py-avignon-front-national,110445.php