– Par Michel Herland –
« Le message est le massage » (Mac Luhan)
L’humour est une denrée précieuse parce que, somme-toute, plutôt rare, en tout cas en littérature. Écrire ou publier un livre pour faire rire n’entre pas habituellement dans le programme des auteurs et éditeurs sérieux, sans doute pourquoi, d’ailleurs, on les qualifie de sérieux. Ils préfèrent les récits autofictifs, aussi moroses que les amours dont ils sont le décalque, ou les innombrables « livres de ma mère », « de mon père », signes immanquables d’un œdipe mal digéré et d’un deuil – de ce fait – inconsolable. Car en effet, ces ouvrages dont on voit mal qui ils devraient intéresser en dehors de la mère ou du père concerné(e), sont généralement écrits lorsque celle ou celui-ci a rejoint sa dernière demeure. On doit à la vérité de dire que, de cet océan nombrilesque, émergent quelques ouvrages relevant de genres mineurs et relégués dans des collections « dédiées » : romans noirs, d’aventure, de fiction spéculative, à l’exclusion des romances sentimentales qui sont par nature exclues des catalogues des « grandes maisons ». Mais romans d’humour, non – on ne connaît pas tout, certes – mais a priori on ne voit pas une telle denrée dans ces catalogues-là. San Antonio a beau être l’objet de savantes études, il a toujours été publié au Fleuve Noir : c’est dire !
Une jeune maison d’édition a relevé le gant en ouvrant une collection « humour ». Et c’est un jeune auteur – mais déjà prolifique puisqu’il ne compte pas moins d’une vingtaine d’ouvrages à son actif – qui ouvre le feu avec Le Best-seller de la rentrée littéraire. Il est plus facile, on le sait, de faire pleurer que de faire rire, aussi faut-il signaler qu’on rit beaucoup à la lecture de ce livre. Cependant, il y a rire et rire, celui bête et vulgaire, par exemple, des animateurs des émissions dites de divertissement et de leurs invités, et bien d’autres du même genre dont on nous dispensera de faire la liste. Le rire provoqué par les « vannes » d’Olivier Larizza n’est ni bête ni vulgaire et, qui plus est, ses calembours[i] et autres jeux de mots ont une vertu particulière propre à ravir les amis des lettres : son humour est littéraire.
On ne racontera pas l’histoire mais elle-même, déjà, est littéraire, puisque le narrateur s’en trouve être un écrivain fictif (nommé Octave Carezza). En outre, une prière d’insérer, en tête de chaque chapitre, rappelle l’identité du véritable écrivain, Olivier Larizza. Exemple, en préambule au chapitre intitulé « Le petit marchand de prose » :
« C’est donc, vous l’aurez compris, dans le secret espoir de relever un peu le niveau des belles-lettres et surtout le chiffre de son compte en banque – mais il paraît qu’aujourd’hui les deux ne vont plus de pair – que M. Larizza soumet son nouvel opus à votre goût et votre intelligence. Si vous pouviez effectivement en faire le best-seller de la rentrée littéraire, cela nous arrangerait car l’auteur est sur les nerfs ces temps-ci, comme en témoigne le chapitre suivant. »
On ne peut évidemment tout citer, mais deux citations de la première page du chapitre en question donneront une première idée du genre d’humour pratiqué par O. Larizza. L’incipit : « Un certain nombre de gens croient que, dans la vie, c’est l’argent le plus important ; un écrivain n’a aucun doute là-dessus ». Et un peu plus loin, après que nous ayons appris qu’Octave Carezza a dirigé un ouvrage collectif intitulé L’Amour est dans le prêt : « Même pour un auteur français, y soutenait un éminent professeur de New-York, il vaut mieux être riche que pauvre, surtout si l’on a du mal à joindre les deux bouts ».
Il serait cependant erroné de croire que l’argent soit le thème principal de cet ouvrage. Il n’est qu’un souci parmi tous ceux d’un homme de lettres : rapport avec les éditeurs, les collègues (lors des salons du livre), les lecteurs, l’angoisse de la page blanche, l’espoir de « l’immortalité », sans compter quelques autres soucis communs à tous les humains, comme l’amour qui-quand-où.
O. Larizza a publié il y a quelques années un essai sur le livre numérique[ii]. Dans l’un des chapitres du présent livre, son narrateur se trouve à la FNAC, s’efforçant de dissuader les acheteurs de liseuses (« deux ados qui ont plus d’acné que moi à leur âge, s’extasient devant l’absence de boutons de l’appareil – comme on les comprend ! »). L’impératif auquel tout écrivain est censé se soumettre – nulla dies sine linea – est interprété ainsi par notre auteur : « pas un jour sans une ligne (de coke) ». À propos d’un écrivain « la quarantaine bien entamée mais avec l’air d’un éternel adolescent », cette remarque : « à croire qu’il ne se droguait pas ». La gloire posthume ? « Il vaut largement mieux aller à la poste hériter qu’aller à la postérité » ! La lutte des classes ? Alors que le narrateur est pourvu d’un doctorat, son compère Angelo Grisé, écrivain autodidacte, a arrêté l’école en troisième : « Il y avait par conséquent onze classes d’écart entre nous, un fossé bien trop grand pour être comblé par l’amitié, la littérature ou les filles du Top Nude ». D’où la conclusion en forme de généralisation : « Marx avait donc raison : dans l’histoire des hommes, les contraintes matérielles priment sur les éléments affectifs, surtout après une orgie de crêpes ».
Le même Angelo Grisé a l’honneur d’une critique savante intitulée « La schize du narrateur homodiégétique dans Sans attendre les pingouins ». Il découvre ainsi que son œuvre renferme quelques catachrèses, épiphores « et même un boustrophédon » (!) mais ce qui l’inquiète le plus est le « diagnostic » d’épanadiplose. Les savants apprécieront, les autres enrichiront leur vocabulaire…
On l’aura compris, « écrire, c’est difficile, et surtout quand on est écrivain » (aphorisme attribué à Antoine Blondin)[iii]. Mais il ne faut surtout pas désespérer puisque « tout à une fin, sauf le saucisson qui en a deux ».
Olivier Larizza, Le Best-seller de la rentrée littéraire, Paris, Andersen, 2015, 232 p. O. Larizza est maître de conférences en littérature anglaise à l’Université des Antilles.
[i] De l’abbé allemand Calemberg. Il est laissé au choix de chacun de faire ou non la liaison du « s » au pluriel de « calembours ». Voilà qui devrait plaire aux jeunes d’aujourd’hui qui ont perdu l’usage de la liaison (« deux / euros » au lieu de « deux-z-euros »).
[ii] La Querelle des livres, Paris, Buchet-Chastel, 2012.
[iii] D’autres citations sont à l’évidence plus douteuses comme celle attribuée à Mac Luhan (en exergue à cet article) : on aura rectifié.