La professeure d’histoire coloniale a récemment publié « African Europeans », qui retrace la présence des Noirs en Europe depuis plus de deux mille ans. Elle y décrypte notamment la fabrique des préjugés raciaux.
— Propos recueillis par Coumba Kane —
Olivette Otele est professeure d’histoire coloniale à l’université de Bristol, au Royaume-Uni. D’origine camerounaise, elle est la première femme noire à occuper la présidence d’une chaire d’histoire au Royaume-Uni. Elle vient de publier African Europeans, An Untold History (Hurst Publishers, non traduit), une synthèse inédite sur la présence des Noirs en Europe, du IIIe siècle avant Jésus-Christ à nos jours. Une histoire qui « ne peut pas être réduite à l’esclavage et à la colonisation, comme c’est souvent le cas », souligne-t-elle.
Quelle était la perception des Africains par les Européens sous l’Antiquité, période par laquelle débute votre ouvrage ?
Pour les Grecs, les Africains représentaient ceux qui vivaient au sud de la Méditerranée. Le bassin méditerranéen était perçu comme le centre d’échanges entre des populations différentes, et les Africains étaient des acteurs de ces interactions. Quant à l’empire romain, bien que brutal et esclavagiste, il entretenait une forme de multiculturalisme. Dans un parcours de vie, l’origine géographique et la couleur de peau jouaient souvent moins que l’ambition personnelle. C’est ainsi que Septime Sévère, né dans l’actuelle Libye [en 146], a pu devenir empereur à Rome et fonder une dynastie. Sans compter les nombreux penseurs qui ont marqué l’histoire européenne, à l’image de saint Augustin et Apulée, tous deux originaires d’Afrique du Nord.
Au Moyen Age, l’origine géographique semble d’ailleurs moins vecteur de préjugés raciaux que la religion…
Le rapport à l’islam de l’Europe chrétienne à l’époque médiévale illustre en effet cette prégnance des préjugés raciaux sur une base religieuse. Dans un contexte de rivalité entre ces deux monothéismes, en particulier autour de la Méditerranée, des attributs péjoratifs sont accolés aux musulmans. En France, au XIe siècle, dans le poème épique La Chanson de Roland, ils sont décrits comme « d’horribles animaux ». Mais tous les Européens n’étaient pas vus comme un bloc homogène. Les Irlandais, qui furent réduits en esclavage par les Vikings, étaient perçus par les Anglais comme des sauvages « à civiliser » et donc à dominer.
Quel fut le rôle de l’Église dans la fabrique des préjugés raciaux à l’égard des populations noires ?
L’Eglise entretenait une certaine ambivalence envers les Africains. Elle a permis l’émergence de saints noirs tout en associant la peau foncée à la couleur du mal. Le message véhiculé se résumait ainsi : en se repentant, on pouvait être sauvé, même en naissant noir. C’est ainsi qu’au XVIe siècle, l’Europe du Sud a vu apparaître un certain nombre de saints noirs, parmi lesquels les franciscains siciliens Benoît le More et Antonio da Noto. Ce dernier a vu le jour en Afrique du Nord dans une famille musulmane.
Après avoir été capturé par des pirates siciliens, il a été réduit en esclavage en Sicile, où il s’est converti au catholicisme et s’est distingué par sa piété. Malgré ce parcours de sainteté, son nom est tombé dans l’oubli, contrairement à celui de Benoît le More, né de parents subsahariens fervents chrétiens, et canonisé en 1807. Il est aujourd’hui le saint patron de Palerme…
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