Off d’Avignon 2013, l’inflation galopante

— Par Armelle Heliot —-

 avignon_off_2013Greg Germain, président d’Avignon Festival et Compagnies, l’association qui organise le festival Off, a présenté lundi 27 mai l’édition 2013: 1066 compagnies et 1258 spectacles à l’affiche. Affolant !

 Une image vient à l’esprit lorsque l’on tente de saisir le sens de la prolifération des spectacles dans le cadre du festival Off d’Avignon. Non pas celle du désordre des cellules saisies par la maladie, mais celle de l’arbre fruitier qui, sentant sa mort prochaine, donne plus de fruits qu’il n’en a jamais donnés… C’est le cher Alain Baraton, maître des jardins de Versailles qui, souvent, rappelle cet étrange phénomène.

 Avec ses 8.000 artistes et techniciens réunis, ses 1.066 compagnies (soit 100 de plus qu’en 2012), ses vingt pays représentés, ses 1.258 spectacles, ses 48 «événements», le tout sur 24 jours du 8 au 31 juillet, quel sens a le festival Off? Depuis quelques années, la manifestation a choisi comme slogan: «Le plus grand théâtre du monde». D’accord, même Édimbourg et son joyeux mélange est battu!

 Mais pour quoi faire?

 Devant un parterre attentif, Greg Germain, comédien, metteur en scène, chef de troupe, directeur de théâtre, producteur, s’est montré résolument optimiste. Il a fait le calcul: 30.000 représentations en un peu plus de trois semaines! Cela ne semble pas l’inquiéter.

 Il faut dire qu’avec une volonté sans faille, lui et ses équipes, ont mis en place, dans le droit fil de ce qu’avaient initié Alain Léonard et sa femme, la regrettée Monique Léonard, des structures efficaces apportant une assise professionnelle à la manifestation.

 Nul ne saurait se plaindre du désir des jeunes de défendre des textes et de choisir le théâtre. Nul ne saurait se plaindre que l’on puisse estimer à plus de 2,3 millions les «fauteuils occupés» (très exactement 2.313.430), intéressante catégorie qui évite d’ailleurs de parler de «places vendues». En 1966, il n’y avait qu’une compagnie ; en 1983, 50 compagnies ; en 2012, 975 compagnies. C’est tout de même une montée en puissance du nombre, qui paraît étonnante.

 Après avoir salué la mémoire de Monique Léonard et d’Antoine Bourseiller, qui fit débuter le jeune acteur qu’il était au théâtre et fut son mentor, Greg Germain analyse Avignon Off comme le lieu où les compagnies peuvent jouer dans la durée (plus de trois semaines) quand la moyenne en France est de… sept fois!

 Avec l’effet pervers que l’on sait et qui a été souligné il y a dix ans lors du conflit des intermittents: ici, on fait des heures. Et on est prêt à payer pour cela. Greg Germain se garde bien de dire de telles horreurs, évidemment. Il souligne que le Off est également le lieu du marché du théâtre: 20 % de toutes les cessions du spectacle vivant se font à Avignon dans le off. Encore un chiffre faramineux: 3.700 professionnels étaient accrédités en 2012: 17 % de journalistes, 39 % de programmateurs, 36 % de «prescripteurs», une catégorie assez floue, mais elle existe dans le off! Tous ces chiffres donnent le tournis.

 Un commerce lucratif

 Ne parlons pas des salles: Greg Germain a beau dire que l’on ne peut rien ouvrir sans autorisation de la préfecture, des pompiers… les Thénardier des Papes n’ont pas disparu. Témoignons. Il y a deux étés, on a vu des jeunes pleurer parce qu’ils arrivaient dans une salle qu’ils avaient louée sur plans, par Internet, des mois auparavant. À une époque où la tenancière du lieu n’avait pas encore acquis l’espace ni obtenu d’autorisation de transformer un garage en salle de spectacles, pas plus qu’elle n’avait obtenu celle de la copropriété. Une dame bien connue puisqu’elle a déjà sévi dans deux autres lieux du Off.

 Pourquoi se priverait-elle de ce lucratif commerce? Les jeunes n’ont eu qu’à se passer de décors! Les jeunes n’ont eu qu’à payer et à travailler dans des conditions détestables. Ceux dont nous parlons avaient d’ailleurs craqué avant la fin du festival. Et la dame en question a eu des ennuis? Bien sûr que non. Elle ira parader le 7 juillet, comme tout le monde.

 Et cela coûte combien de louer une heure trente à deux heures (car il y a le montage et le démontage du décor) dans un «théâtre» avignonnais? Plusieurs milliers d’euros. Exemple: une salle de 100 à 110 places, créneau horaire de début d’après-midi, pas le plus cher, se louait en 2012, 9.000 euros. Hors taxes. Les jeunes compagnies qui, le plus souvent, ne sont pas assujetties à la TVA, se retrouvent avec des notes de 11.000 euros. Une salle de 200 places, c’est souvent 16.000 euros, hors taxes. Ajoutez qu’il faut payer le régisseur, le caissier et la communication: dossiers de presse, les dépliants… Il faut loger les comédiens: au prix le plus souvent prohibitif des locations avignonnaises, les administrateurs et administratrices de compagnies estiment que le logement d’un acteur revient à environ 700 euros et plutôt même 900 euros.

 Et il faut toujours payer, à Avignon: pour faire partie de l’association et figurer dans le guide, 300 euros. Multiplié par les 1.066 compagnies, cela fait une jolie base de travail!

 Nous sommes trop nombreux

 Mais tout le monde n’est pas logé à la même enseigne à Avignon. Quelques théâtres (mais ils sont par ailleurs subventionnés) demandent une participation à la communication, une co-réalisation, un partage des recettes. D’autres sont loués par les régions qui accueillent «leurs» compagnies dans des conditions beaucoup plus confortables que les jeunes compagnies seules.

 Être une compagnie indépendante qui débute dans la fournaise des Papes, c’est l’enfer, il faut le savoir! Et pourtant ils y vont. «C’est une foire commerciale. On pourrait être à la Porte-de-Versailles, ce serait la même chose, dit une jeune artiste très lucide. Et il faut revenir au moins deux fois, sinon trois pour que les résultats soient convaincants. Mais ils peuvent l’être. Les programmateurs voient nos spectacles. On peut vendre des représentations, durant la saison qui suit, en France, dans des circuits de petites salles.»

 

Mais ce que note cette jeune femme chef de troupe et très bonne administratrice qui fréquente Avignon depuis plusieurs étés: «Les relations entre les compagnies se tendent. Nous sommes trop nombreux. C’est de la folie d’accepter que de nouvelles salles ouvrent sans cesse et que tant de spectacles soient en concurrence! Si pourtant nous venons, c’est que nous y trouvons, pour certains, notre compte… Mais je pense que l’on a atteint le sommet de la crête et que tout retombera un jour. D’ailleurs, cette année pour la première fois, nous avons pu négocier le loyer de notre logement…»

 

Tous les renseignements sur le site: www.avignonleoff.com

 http://www.lefigaro.fr/theatre/2013/05/29/03003-20130529ARTFIG00540-off-d-avignon-2013-l-inflation-galopante.php