Lettre ouverte remise au président de la République et au Premier ministre
— Par Charles Larcher, président de l’AMPI (Association Martiniquaise pour la Promotion de l’Industrie)
Monsieur le Président, je me permets de vous écrire au nom de l’ensemble des mes collègues présidents de MPI et de l’ADIR, qui regroupent dans les départements d’Outre-mer la totalité des industriels et des agrotransformateurs de la production locale. La réforme de l’octroi de mer inquiète beaucoup dans les départements d’Outre-mer. Cette réforme a été annoncée en mai 2022, et peine à se concrétiser depuis.
La taxe d’octroi de mer est une taxe assise sur les biens consommés dans les DOM. Sa collecte finance la quasi-totalité du budget des collectivités locales. Les entreprises de production locale sont exonérées du paiement de cette taxe, afin de rétablir une situation de juste concurrence avec les productions importées.
La réforme qui circule, à Bercy et ailleurs, consiste à supprimer la taxe d’octroi de mer sur les produits importés, dès lors qu’il n’y a pas de production locale sur le territoire. Pour compenser la perte de recettes induite par la suppression de l’octroi de mer, l’État relèverait la TVA de quelques points.
Des perdants
Cette réforme ne fera que des perdants :
– Les entreprises de production locale vont progressivement disparaitre car la situation sera figée au moment de l’entrée en vigueur de la réforme : le principe selon lequel « on maintient l’octroi de mer dès lors qu’il y a de la production locale » empêche en effet tout développement de production locale nouvelle, et donc une impossibilité pour les entreprises locales de s’adapter aux évolutions des consommateurs. Il est en effet évident qu’une fois la taxe d’octroi de mer supprimée sur un produit, plus personne ne la rétablira pour protéger une production locale naissante. La réforme créera en outre une « préférence pour l’importation », puisque dès lors que l’entreprise de production locale disparaîtra, la taxe d’octroi de mer disparaîtra elle-aussi.
Enfin, les plus petites entreprises de moins de 550 000 euros de chiffre d’affaires, qui sont actuellement les entreprises les plus protégées par les exonérations d’octroi de mer, vont se retrouver directement confrontées aux entreprises d’importation, et donc disparaître à très court terme : nous parlons ici de la totalité de l’artisanat local, par exemple.
– Les collectivités locales, dont les recettes dépendent directement de cette ressource, vont voir leur autonomie fiscale quasi-supprimée, et leur budget réduit dès lors qu’une Dotation globale de fonctionnement viendrait remplacer le produit de l’octroi de mer – le rapport parlementaire de MM. Cazeneuve et Patient sur les finances des collectivités Outre-mer indique par exemple que, sans l’octroi de mer, les communes des DOM disposeraient de recettes 17% inférieures à celles de l’hexagone.
Les consommateurs dupés
– Les consommateurs des DOM vont être dupés par le paradoxe d’une réforme qui se traduira, au nom de la défense de leur pouvoir d’achat, par un relèvement de la TVA ou sa création à Mayotte et en Guyane – en pleine période d’inflation et uniquement dans les DOM. Rappelons que deux tiers de la consommation des DOM est composée de services, et que les services ne sont pas assujettis à l’octroi de mer. Dès lors, le consommateur va voir le prix des services augmenter sous l’effet de la hausse de la TVA, tandis qu’il est peu probable que le prix des biens baisse dans le contexte de hausse des coûts de production que nous connaissons.
Souvenons-nous de la baisse de la TVA dans la restauration pour nous convaincre qu’une baisse de la fiscalité indirecte ne se traduit que très rarement – ou très marginalement, ou très temporairement – par une baisse des prix. Sans compter que la TVA est plus inflationniste que l’octroi de mer, pour des raisons techniques que nous sommes prêts à démontrer, qui sont confirmées par les séries statistiques récentes. Monsieur le Président, la vérité est relativement simple : la technostructure de l’État souhaite, depuis des dizaines d’années, affaiblir l’octroi de mer pour « rationaliser » les finances des collectivités locales d’une part, et re-centraliser la gestion de l’octroi de mer d’autre part – notamment pour prélever des frais de gestion et maîtriser les exonérations de taux. Ce qui est relativement singulier, puisque le financement des collectivités locales des DOM par les recettes de l’octroi-de-mer rend celle-ci neutre pour le budget de l’État.
Cette réforme étant difficile à défendre, la technostructure de l’État ne dit pas la vérité aux responsables politiques et leur « vend » une réforme faite au nom du pouvoir d’achat des ménages des DOM. Mais tous ceux qui pratiquent un peu ce dispositif, comme c’est notre cas, savent bien qu’il n’y aura aucun gain de pouvoir d’achat pour nos populations, tout simplement parce que la réforme n’a pas été conçue, sur le plan administratif, pour cela. Nous l’avons brièvement démontré plus haut, et sommes prêts à le faire de manière plus approfondie. Tout le hiatus de cette réforme impossible peut être résumée en une seule phrase : le gouvernement s’apprête à relever les taux de TVA Outre-mer, et à en créer une en Guyane et à Mayotte, au nom du pouvoir d’achat des populations.
Objectifs non-compatibles
La contradiction est évidente, mais nous n’arrivons pas à faire passer ce message simple.
Notre position est de dire que l’octroi de mer peut sans doute être amélioré à la marge, aucun système n’étant parfait. Nous avons des idées en la matière. Mais nous ne pouvons pas les avancer, le gouvernement essayant de trouver une réforme impossible, consistant à refondre complètement le dispositif. Nous écrivons « réforme impossible », car les objectifs de la technostructure de l’État et ceux des responsables politiques sont divergents, et en réalité non-compatibles.
Nous en appelons donc à votre autorité sur ce dossier qui est majeur pour les équilibres économiques et sociaux des DOM. Nous souhaiterions, à ce titre, pouvoir vous rencontrer avec nos collègues de la Guyane, de la Guadeloupe et de La Réunion, pour développer plus avant les arguments sommairement exposés dans cette note.
Dans cette attente, nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en notre plus respectueuse considération.
Charles Larcher, président de l’AMPI (Association Martiniquaise pour la Promotion de l’Industrie)
Lettre ouverte remise au président de la République et au Premier ministre