— Par Nicole Cage —
Chères, chers colonisé (e)s,
An nèg, sé an sièk, mi !
J’essaie de comprendre ce qui s’agite ainsi en vous, la cause réelle et profonde de votre émoi parce qu’une ministre a entrepris de formaliser une réforme de l’orthographe de la langue française qui couvait sous le boisseau depuis des lustres. Parce qu’un gouvernement français décide de réformer SA langue ! Men lang moun-an sé ta’y, i ka fè sa i lé épi’y ! Fout zot brav !
Evidemment, personne n’avait osé, surtout pas la droite ! Il a fallu attendre Hollande-courage pour qu’elle sorte des tiroirs et soit remise au goût du jour (même si elle avait été expérimentée dans certaines académies).
Mais… que vous arrive-t-il chers colonisés ?
Pourquoi tant d’émoi et d’hystérie ? Qu’est-ce qui motive donc votre courroux et votre agitation !
Vous voilà prêts à entrer en résistance, à partir à l’assaut des pourfendeurs de « notre » langue ! Vous fûtes Charlie ! Vous voilà maintenant oignon et circonflexe ! Etes-vous donc à ce point plus français que les Français eux-mêmes ?
Vous a-t-on vu vous émouvoir pour une réforme de la graphie de votre langue maternelle ? Vous a-t-on vu monter au créneau quand il s’agissait d’en faire une matière à part entière d’un concours aussi « national » qu’un Capes ?
Voyons, il faut bien détourner les Français, et nous avec, de l’essentiel ! Il faut bien faire diversion, de réformettes en réformes pour noyer le poisson de la pseudo-crise ! Il faut bien vous occuper à faire mumuse avec l’orthographe et autres circonflexions pendant que les mesures les plus rétrogrades s’enchainent à une vitesse vertigineuse, pendant que vous avalez les couleuvres les plus indigestes en remerciant bwana de vous servir du caïman ou autre mets raffiné !
Et si vous vous occupiez un peu plus de vos propres ognons ? De l’empoisonnement de vos terres ? De l’exil souvent définitif des forces vives du pays ? Le malheur n’étant pas de partir (on le sait, « les voyages forment la jeunesse ») mais bien de ne pouvoir revenir, fautes de perspectives ! Des épidémies suspectes ? De l‘impréparation aux risques majeurs ? De la vétusté de vos centres hospitaliers ? De l’échec scolaire programmé de votre jeunesse ? De la violence qui régit encore les rapports hommes-femmes? De votre jeunesse addicte aux paradis artificiels et capable de tuer pour un bijou, un scooter, un regard de trop ? De… de… de ?
Pour ma part, pour ce qui est de cette réforme, ma seule inquiétude concerne ceux que le système a déjà laissés en rade, a déjà abandonnés sur le bord du chemin. Tous ces jeunes dysorthographiques, tous ces jeunes à qui l’on présente la langue de Molière comme un objet de culte hors de portée des païens qu’ils demeurent aux yeux de l’élite ! Tous ces traumatisés des dictées culpabilisantes et destructrices ! Tous ceux que l’on considère comme des éléphants face à la délicate porcelaine de la langue française!
Tous ceux qui, déjà paralysés par l’orthographe et la grammaire françaises risquent de se sentir davantage piégés, acculés à l’échec. Tous ceux à qui l’on rajoutera quelques heures d’accompagnement par-ci par-là, soignant le mal par le mal au lieu de repenser entièrement une machine éducationnelle mortifère !
Réforme ou pas, nénufar ou ognon, les négrillons de Carabin ou de Trénelle continueront de se cogner le front aux aspérités d’une langue qui demeure pour beaucoup une langue étrangère.
Jusqu’à… ?
Nicole Cage
Schœlcher, Martinique, le 06 février 2016