Festival d’Avignon off 2018. 11. Gilgamesh Belleville
« Un 4 octobre, il y a tout juste 20 ans, un avion m’a jeté ici alourdi de valises, de livres et de visions claires, de certitudes. J’avais pleuré pendant les quatre heures de vol qui séparaient Paris de Damas. Et si l’objet de mes larmes n’était pas uniquement la perte de familles, d’amis ou de la terre natale, mais une intuition prémonitoire de la perte de celui-là même qui parlait?
Telle est la crainte de Nour-Assile dont le spectacle nous conte l’histoire:
Une jeune réalisatrice de documentaires, Marie et un metteur en scène, Ulysse, viennent en prison faire travailler des détenus radicalisés sur un projet de spectacle autour de la figure de Jalaluddine Rûmi, poète mystique du 13ème siècle. Une entreprise courageuse envisagée comme un électrochoc, quand on connaît l’extrême hostilité des salafistes islamistes envers la mystique musulmane, le Soufisme. Marie et Ulysse font la rencontre de Nour Assile, jeune détenu syrien, au parcours singulier mais qui ne désire qu’une chose : mourir en Martyr. Les trois protagonistes vivront au même moment l’expérience de la rencontre de l’autre. Malgré tous les obstacles, ce travail en prison aboutira à une représentation, à la fin de laquelle Ulysse est assassiné en public par les détenus ; Nour Assile est le seul survivant parmis les détenus, Marie est grièvement blessée mais s’en sort vivante, elle est sous le choc. De longs mois après, Marie éprouve le besoin de comprendre, et décide de poursuivre son film. Elle reprend contact avec Nour Assile qui accepte de se confier à elle.
La présence d’un conteur est destinée à éclairer le public sur ce parallèle entre le début du XIV è siècle et le XXIè commençant. L’histoire est belle et forte, l’intention des plus louables, alors pourquoi tout cela ne fonctionne-t-il pas? Y aurait-il méprise sur la nature du théâtre? Outre l’extrême confusion de l’intrigue présentée dans le désordre, le spectateur n’y trouve pas son compte. Preuve qu’avec les meilleurs intentions du monde, on peut monter un spectacle lourd et ennuyeux. Sans doute est-ce imputable à la trop grande transparence de l’intention elle-même. Le théâtre meurt sous le coup de la rhétorique didactique. Le débat d’idées, s’il n’est pas incarné dans un drame sensible, incorporé, n’a pas sa place au théâtre. Le plateau n’est pas une tribune, quelle que soit la justesse du discours, ça reste du discours. Ajoutons à cela le faible degré d’engagement et de préparation des comédiens qui hésitent, trébuchent sur leur texte, nous paraissent à côté de l’histoire. On reste sur la touche à se demander comment on fait pour échouer avec un si beau projet! Il n’est pas jusqu’à la scénographie qui n’a rien trouvé de nouveau et réexploite des idées de fond d’atelier, quand elle ne verse pas dans l’exemplification pure et simple.
En somme un travail d’amateur, on est d’autant plus désolé de le dire qu’on adhère au propos. On en sort navré et fatigué en dépit de toute notre sympathie.
Michèle Bigot