« Nus descendant l’escalier  » en ouverture de la Biennale de Danse

—Par Roland Sabra —

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Annabel Guérédrat et Henri Tauliaut dans  » Nus descendant l’escalier#5″ — Version TRopiques-Atrium

D’abord c’est un chant, un cri, un chant, un cri. On ne sait, ni d’où il vient, ni ce qu’il est. Superbe et saisissant il envahit le hall de Tropiques-Atrium. Puis une silhouette apparaît dont on voit d’abord les pieds, puis les jambes et le corps enfin. Cette fois, c’était lui devant et elle derrière. Collée à lui, presque invisible ils descendent l’escalier, lentement marche après marche. Image démultipliée du même comme un clin d’œil à la chronophotographie qui inspira le tableau de Marcel Duchamp et/où évocation d’un état d’indifférenciation, de « fusionnalité » diraient les thérapeutes du couples ? On ne sait et on ne veut pas savoir on veut ressentir ce qu’ils expriment là, maintenant au bas de cet escalier de marbre blanc, là maintenant qu’elle sort de son ombre, qu’elle se détache pour une nouvelle attache. Elle est au sol, à quatre pattes, une laisse autour du cou. Il lui fait faire le tour du parvis intérieur de Tropiques-Atrium. Lentement, toujours lentement, au ralenti, comme dans un état de toute éternité. D’autres fois c’est lui l’animal de compagnie qu’elle promène. Le tour accompli, il lâche la laisse. Toujours sur ses quatre pattes elle esquive un départ, fait un tour sur elle-même et revient vers lui tête baissée comme soumise. Alors, alors seulement, il s’agenouille devant elle, puis s’allonge bras et jambes en croix dans l’attente. Le passage de la relation verticale à l’horizontalité lui permet à elle de se relever sur les genoux, de se défaire de sa laisse, de laisser tomber le loup et les autres masques qu’elle portait ainsi que l’animalité qu’ils signifiaient. Elle s’avance entre ses jambes, lui caresse le sexe de ses cheveux. Il se cambre. Elle se retire, s’allonge elle aussi dans la même position que lui et se cambrent plusieurs fois à l’unisson. Elle chante ou pousse long un cri semblable et tout aussi beau que celui qui ouvre la performance. Sexualité qui dans un au-delà de la jouissance ouvre l’horizon du plaisir comme signe d’accès à une humanité. Ils peuvent donc se relever. Elle sort de sa petite culotte un flacon de parfum et accompagnée de son alter ego elle tourne au tour de la scène jetant quelques gouttes de parfum sur le public. Elle finit par remettre le flacon dans sa loge mais de telle sorte au le bouchon pointe vers l’extérieur dans un ambiguïté sexuelle assumée. Et tandis qu’il tourne encore et encore autour de la scène, elle danse, ondule, provocante, se remet à quatre pattes l’attire à elle. Et il vient. Il vient lui renifler le postérieur. Ils s’aiment. Ils forment un couple apaisé au genre incertain sans doute, mais un couple c’est certain, qui peut quitter tranquillement le lieu de sa naissance et se diriger vers la ville, ce qu’il fait en franchissant les portes de de « Tropiques-Atrium » suivi d’une partie du public en guise de cortège nuptial. Un épilogue était prévu : celui d’un retour vers la scène par la porte des artistes, comme pour refermer la boucle mais hélas, le personnel technique du centre culturel avait oublié de laisser la porte ouverte. Et comme il commençait à pleuvoir…

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Photo d’une précédente Performance

On l’aura compris, le thème décliné est celui des rapports de domination à l’intérieur d’un couple de quelque façon qu’il soit genré ainsi que le suggère l’inversion des rôles entre elle et lui selon les lieux où se produit la performance. Il y a aussi cette idée que l’amour-sexuel comme le dit l’expression en elle-même est un marqueur constitutif de la condition humaine. Au delà donc de la part somme tout fort raisonnable de provocation induite dans la performance il y a ce discours très moral d’unité entre sexe et sentiment. On retiendra sans doute aussi le message premier, celui du nécessaire abandon de la relation fusionnelle comme condition première d’accès à l’identité. La morphologie des performeurs participe aussi à la déconstruction d’un autre mythe. Celui du corps-machine sans faille et sans défaut généré par le narcissisme mortifère des salles de sport. Ces lieux dans lesquels « Le corps n’est plus qu’un ensemble de clapets, sas, écluses, bols ou vases communicants.. » (Deleuze-Guattari)

Reste un questionnement celui du caractère réitérable d’une performance quand bien même celle-ci serait sujette à variations, inversion des rôles, modifications… De performance ne devient-elle pas chorégraphie inscriptible dans le marbre des tablettes ? Que  « Nus descendant l’escalier » ait fait l’ouverture de la Biennale de Danse Martinique comme préfiguration d’un destin prévisible est peut-être un élément de réponse. Ce qui ne diminue en rien le talent de la prestation.

Fort-de-France, le 12/05/2016

R.S.

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« Nus descendant l’escalier #5 » d’Henri Tauliaut & Annabel Gueredrat, capté et mis en ligne par Ange Bonello

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Une version précédente de la performance