— Par Jean-Marie Nol, économiste financier —
La prochaine décennie, marquée par une mutation vers l’économie numérique, va bouleverser la structure de l’emploi en Outre-Mer . Alors que le chômage est au plus haut, comment la jeunesse peut espérer se préparer au mieux pour l’avenir ?
Hier dans le journal économique les Échos daté du 2/05/2017 , la Banque mondiale faisait état d’une terrible prédiction sur l’emploi :« L’automatisation pourrait faire disparaître près de 70 % des emplois dans les pays en voie de développement, selon le directeur de l’institution.
Voila de quoi relancer les polémiques sur la robotisation de l’économie. Le Président de la Banque mondiale Jim Yong Kim a ainsi annoncé que les deux-tiers des emplois aujourd’hui existant dans les pays en voie de développement devraient disparaître avec l’automatisation de l’économie. »
Pour Jim Yong Kim, ces destructions d’emplois vont toucher tous les pays, développés et pauvres, notamment les pays plus tournés vers l’industrie et les services.
Le président de la banque mondiale n’en est pas à sa première sortie sur le sujet, alors que les débats se multiplient, notamment en France. Il a déjà averti des conséquences de la montée en puissance des robots et des imprimantes 3D dans les économies développées.Pour Jim Yong Kim, ces destructions d’emplois vont toucher tous les pays, développés et pauvres, notamment les pays plus tournés vers l’industrie et les services.
Lors de sa conférence à la Milken Institute, Jim Yong Kim a expliqué que le recours aux technologies limitait mécaniquement l’intervention humaine dans l’activité économique, d’où son impact sur l’emploi. Mais jamais le dirigeant, à la tête de la Banque mondiale depuis 2012, n’avait annoncé anticiper une vague d’une telle ampleur. Dans le même temps , Les experts de l’OCDE estiment que près de 30% des « travailleurs » devront en France faire face à un changement de la nature de leur travail, une évolution plus ou marquée liée au numérique. Selon l’OCDE, 9% des emplois en France présentent un « risque élevé de substitution » par des robots. Cela représente 2,4 millions d’emplois. Une évolution de fond dont les politiques ont encore du mal à mesurer les conséquences.
Les 10 prochaines années vont apporter leur lot majeur de révolutions technologiques et humaines. Le développement massif de la robotisation, de l’intelligence artificielle, du numérique , vont apporter des changements fondamentaux. Si l’informatique a mis du temps à se développer, on estime que l’intelligence des hommes sera dépassée par l’informatique vers 2025 , on estime qu’un ordinateur aura une intelligence de plusieurs milliards de fois supérieure à un être humain. A la limite, peu importe si ces estimations sont vraiment exactes, car on peut d’ores et déjà dire que cela arrivera dans un espace-temps proche. Or, la société en Outre-Mer donne actuellement le sentiment systématique de subir les effets des révolutions technologiques plus que de les anticiper.
En fait, hormis le cas spécifique des administrations évidemment vulnérables à l’automatisation des tâches, si l’on observe les entreprises qui ont le vent en poupe dans nos pays d’outre – mer, ce sont des activités profitables comme les activités de services et de commerce qui sont les plus exposées à la révolution numérique , celles des supermarchés (90% d’entreprises profitables ) ou encore les activités de commerce comme les banques ou les assurances. Plus de guichetier. Plus de conseiller. Plus personne. Juste des machines. Est-ce l’agence bancaire du futur ? Elle existe déjà, à Denver et Minneapolis, où Bank of America vient d’en ouvrir trois depuis le début de l’année. Une mini-agence entièrement automatisée, quatre fois moins grande qu’une agence classique, et sans aucun employé. On y accède avec sa carte bancaire, il y a des automates pour retirer de l’argent, déposer des espèces ou un chèque, mais pas de caisse. Un dispositif permet au client d’échanger à distance, par visioconférence, avec un vrai conseiller d’une autre agence, s’il a besoin d’être renseigné pour une demande plus sophistiquée, comme souscrire un prêt.
La deuxième plus grande banque américaine en termes d’actifs, la première en termes de dépôts, a évoqué ce nouveau concept de « robot-banque », à mi-chemin entre l’agence physique classique et le 100% virtuel, incidemment, lors d’une réunion avec des investisseurs.
A l’heure du numérique et de la banque sur mobile, les grandes banques abandonnent le modèle « une agence à chaque coin de rue ». Aux Etats-Unis, le cabinet de conseil JLL anticipe la fermeture de 18.000 agences en cinq ans. D’ici 2025, 3 millions d’emplois touchant tout autant les classes moyennes, les emplois d’encadrement et les professions libérales que les métiers manuels pourraient avoir disparu en France, selon une étude du cabinet Roland Berger.
Alors se pose la question suivante , la révolution numérique va-t-elle hypothéquer irrémédiablement l’avenir de notre jeunesse déja confrontée à des difficultés monstres ?
Le constat actuel d’une jeunesse désenchantée en outre – mer.
Comment se dessine l’avenir des jeunes en outre-mer à partir de l’enquête génération what outre-mer ? L’enquête réalisée en 2016 dresse le portrait d’une jeunesse inquiète pour l’avenir et qui ne croit plus guère en ses chances , hors le champ de l’expatriation. À la question de savoir s’ils sont optimistes ou pessimistes pour l’avenir des jeunes , 75 % des 18-25 ans interrogés répondent « pessimistes. ». Seuls 25 % des 18-25 ans ont la conviction que leur vie sera meilleure que celle de leurs parents. Ils sont 45 % à imaginer qu’elle sera pire, 29 % qu’elle sera semblable. Près d’un tiers (33 %) sont persuadés qu’ils ne connaîtront jamais autre chose que la crise.
Les participants peuvent avoir été tentés de « surjouer un discours noir et cynique, ce qui est une manière de conjurer le sort ». Surtout, cette génération est fortement clivée en fonction des parcours et des statuts, précaires ou non. Ce n’est pas une mais des jeunesses qui se dessinent en outre-mer. En passant des étudiants ou salariés en CDI aux chômeurs-intérimaires-inactifs, le pessimisme gagne 20 points. L’expérience du chômage affecte fortement la projection dans l’avenir. Dans cette enquête transparaît donc, selon les initiateurs de l’enquête « une génération consciente, lucide, désillusionnée, selon laquelle les instruments de mobilité sociale ne fonctionnent pas ». « Les jeunes se sentent abandonnés par la société. Ils ne sont pas aux commandes de leur vie, ils subissent. Sont frustrés de ne pas pouvoir faire leurs preuves, montrer qui ils sont. » Pour réussir dans la vie, la moitié des répondants pense donc ne pouvoir compter que sur soi-même. Finalement, la jeunesse en outre-mer est aujourd’hui en perte de repères et d’espérance. Peu nombreux sont ceux entretenant l’espoir de voir leur avenir se dessiner avec facilité. Rares sont les jeunes consolidant leur croyance en une société capable de se rehausser et d’affronter les difficultés de ces mois et années passés, comme de ceux à venir.
La fracture entre les générations n’aurait jamais été aussi grande qu’aujourd’hui. Les jeunes seraient foncièrement individualistes, enfermés dans le monde virtuel, peu engagés, à distance du débat politique. Mais, au fait, pour commencer, parler de la » jeunesse en outre-mer a-t-il un sens quand on sait que l’expatriation semble être leur seul avenir ? En vrai , le mythe de la jeunesse porteuse d’avenir pour le développement des territoires d’outre-mer s’émousse aujourd’hui, la société a de la peine à imaginer son futur, le devenir des jeunes, marqué par le chômage, est source d’inquiétude. Dans la jeunesse actuelle, il existe trois grandes catégories. Il y a ceux qui n’ont pas de travail. Je note que la moitié de la population juvénile active (les 18-25 ans) est au chômage. Il y a aussi ceux qui ont un contrat pour une durée déterminée , ce sont tous ces jeunes salariés qui ont des statuts précaires avec des bas salaires, des horaires variables et des missions qui changent tous les jours.Enfin, dernière catégorie,la jeunesse de plus en plus nombreuse expatriée en France hexagonale ou à l’étranger qui semble s’en sortir tant bien que mal. Et cette génération – fille de celle, bénie, du baby-boom de la départementalisation – est plus que jamais sans illusion sur les obstacles. A l’école, seulement 39 % se disent tout à fait libres de choisir leur orientation, 25 % regrettant même leur choix. Une école et des enseignants très critiqués par ailleurs pour leur manque d’écoute : 38 % des jeunes interrogés se sont sentis considérés comme des objets par leurs professeurs… Et l’arrivée dans le monde du travail reste l’une des étapes les plus difficiles. Non seulement 26 % des jeunes se sont sentis libres de choisir leur premier emploi, mais une fois celui-ci décroché, ils ne sont plus que 36 % à penser que réussir sa vie passe par une belle carrière… Si l’on ajoute à cela les difficultés à se loger décemment et à avoir un accès aux soins correct, se dessine alors le portrait cru d’une « génération désillusion. » Une génération très critique envers la société, notamment la classe politique, les enseignants, les institutions ; une génération qui peut être tentée par la révolte , mais, surtout, une génération en demande d’écoute, prête à montrer ses talents et qui veut croire en ses chances. A 4 jours de la présidentielle cet appel de la jeunesse mérite d’être entendu…
Les jeunes ultra marins ont plus que jamais besoin qu’on les projette vers l’avenir. En Guadeloupe et Martinique , 65 % jeunes n’ont pas d’idée précise de leur vie professionnelle dans cinq ans, contre 35 % qui disent le contraire. Des pourcentages inverses de ceux relevés au plan national, 53 % ayant une idée précise de ce qu’ils veulent faire contre 42 % qui ne le savent pas encore.Ce que nos concitoyens et les acteurs politiques ont souvent du mal à comprendre, c’est que lorsque la société stricto sensu se met à marcher, la jeunesse de nos pays souvent expatriée, se met à courir le monde. La jeunesse en outre-mer se définit d’ailleurs elle-même comme étant « sacrifiée » ou « perdue » : Et elle se montre encore inquiète quant à son devenir personnel, le pessimisme est de mise lorsqu’elle compare son avenir à ce que vivent ses parents. Le discours de la crise pèse et donne le sentiment aux jeunes qu’ils sont pris dans une « spirale du déclassement » Dans un monde de plus en plus globalisé, le jeune ultra marin devient davantage cosmopolite. Ce phénomène amène certains à affirmer qu’une jeunesse mondialisée est en train d’émerger en outre- mer « T’installer à l’étranger, ça te tente ? » Evidemment oui, cela tente les trois quarts des participants à l’enquête. Inhérente à la jeunesse, cette envie d’aller voir ailleurs est plus que jamais valorisée dans la société. Mais 54 % des jeunes se sont reconnus dans une expression volontairement rageuse, hargneuse, qui leur était suggérée : « Dès que je peux, je me barre. » « Une réponse aux portes fermées pour tous les jeunes dans l’impasse, chômeurs, petits contrats, stagiaires… » Aujourd’hui, seuls 25 % des salariés de moins de 25 ans bénéficient d’un CDI [contrat à durée indéterminée, ndlr]. La précarité est généralisée et même intériorisée par cette génération. Reste malgré tout la diversité des situations, selon l’effet de diplôme lié à l’appartenance sociale. Qui a un diplôme demeure à peu près assuré, à terme parfois long, de trouver un emploi. Et qui appartient aux classes favorisées a plus de chance d’obtenir ce diplôme. Soixante-dix pour cent des enfants de cadres et professions libérales passent un bac général. Les enfants d’ouvriers ne sont que 16 %.
Depuis des décennies, on accumule les erreurs que ce soit dans la gestion de nos finances publiques ou dans les orientations prises pour gérer le développement du territoire dans sa globalité. Pulsées par des idéologies contraires, les alternatives politiques qui se sont succédé au pouvoir à la collectivité régionale n’ont eu pour effet final, que de nous enfoncer encore davantage dans l’immobilisme , ce qui exaspère notre jeunesse. Comment redorer l’image d’une classe politique décrédibilisée dans son ensemble par ceux qui incarnent l’avenir ?Reconnaissons-le d’emblée : la question de notre propre avenir à dix ans est particulièrement complexe, quels que soient l’âge et l’expérience professionnelle de celui qui se livre à cet exercice prospectif. C’est d’autant plus vrai que la grande enquête Génération What Outre-mer , menée auprès des 18-34 ans, dessine le portrait d’une jeunesse éduquée, qui enrage de voir les portes se fermer devant elle.
L’autoportrait est sombre. Amenés à définir leur génération, ce sont les mots « sacrifiée » ou « perdue » qui leur viennent le plus souvent à l’esprit.
Il est assez fréquent de constater un manque de confiance de la société envers les jeunes. En outre-mer , même s’il existe des politiques publiques de soutien et d’aide à l’insertion ou à l’autonomie, la solidarité familiale apparaît comme le vecteur principal de prise en charge des jeunes.
Deux jeunesses se distinguent : une jeunesse à « insérer sur place », qui connaît des difficultés sociales importantes et une jeunesse « expatrié dans l’hexagone ou à l’étranger » qui est souvent celle des familles favorisés. La jeunesse est donc soit une victime et une menace, soit une chance. Ce double regard n’est pas spécifique à l’outre-mer , mais il y est particulièrement prégnant.Les chiffres parlent d’eux même : 66% des jeunes âgés de 18 à 25 ans ont ainsi le sentiment qu’au sein de leur pays respectifs , la jeunesse a été marginalisée et exclue de la vie économique et sociale.
Jean-Marie NOL