— Par Olivier Py —
C’est parce que l’oeuvre d’art n’est ni tangible, ni matérielle, ni vérifiable, ni réaliste, ni exacte, ni véridique, ni avérée, ni certifiée, ni rationnelle, qu’elle dit la vérité. Car les preuves épuisent la vérité, la réalité défigure le réel, le sens n’est rien d’autre qu’un espoir. Les oeuvres d’art disent la vérité et quand nous avons soif de vérité, quand il nous semble que toutes les perspectives politiques sont devenues trop outrageusement réalistes pour être honnêtes, les oeuvres d’art deviennent la seule vérité qui ne nous accable pas.
Il est vrai que seules les vérités vérifiées ont valeur de vérités véritables. Vérifiées, qu’est-ce que cela veut dire ? Que nous avons fait un chemin, souvent aride, pour nous réunir dans un espoir commun. Les vérités vérifiées ne le sont pas avec des chiffres mais par un écho indicible en nous, un espoir partagé. Mais il ne suffit pas d’être le plus grand nombre pour rétablir la vérité, contrairement à ce que disent les populistes, les démagogues et les marchands. Loin de là, cette réunion, cette soif de vérité ne peut être véritable qu’en étant fièrement minoritaire. Oui, il faut savoir être minoritaire par amour de la Vérité.
Les temps sont au moins très sévères, soit nous sommes écrasés par notre impuissance, soit nous sommes coupables d’indifférence. Par quelle alchimie dans ce tourment intérieur, pouvons-nous penser que l’art est la réponse ? Par quel sursaut pouvons-nous croire encore en la beauté quand elle nous semble complice des forces du désastre ? Et pourtant, il est des heures où l’on ne peut plus se dérober devant ce qu’elle exige de nous. L’homme qui a trouvé une fois auprès de l’art cet éblouissement ne s’en lassera jamais. Il est peu probable qu’il veuille garder cette joie pour lui-même, jalousement, comme un trésor honteux, non, il voudra la transmettre.
Les temps sont trop sévères pour que l’on renonce à l’espoir, pour que l’on fasse de l’art un objet décoratif et pour que le beau soit séparé du bien et du bon. On peut théoriquement imaginer une splendeur indifférente à ses contemporains, mais on ne peut pas en faire du théâtre au sens profond qui, n’en déplaise à certains, est toujours politique.
Politique ne veut pas dire partisan, séculier ou idéologique, puisque le seul fait d’ouvrir encore ce grand théâtre sous les étoiles est politique en soi, quand bien même l’oeuvre dépliée ne parlerait que de rêves amoureux et de nuages désirés…
Toujours changeants, les nuages nous inspirent, ils n’ont pas l’air sérieux, ni très consistants et pourtant leur beauté inlassable exige de nous d’être meilleurs. La vertigineuse immortalité des étoiles peut nous accabler, pas les nuages. Eux au moins n’auront pas le mauvais goût de nous survivre. Et pourquoi le réel serait-il toujours dur, raide, dense, rugueux, immuable et lourd ? Pourquoi le plus réel et le plus véritable ne serait-il pas ce qu’il y a de plus passant, fugitif, indescriptible, mouvant, fragile ? Pourquoi le réel ne serait-il pas comme nous, mortel, errant, incertain ? On ne construit pas l’avenir avec des pierres, mais avec des hommes. On ne construit pas l’espoir avec de l’acier et du béton, on le fait avec des mots. L’écume, le vent, la connivence, les larmes émerveillées, le rire irruptif sont aussi réels que les fondations et les armes. Nous apprenons l’architecture par les nuages, leur engagement politique nous donne espoir.
Le Festival d’Avignon est une vérité qui a un visage et un corps, celui du public, à qui nous devons tout. Le spectateur est un être d’engagement, ouvert, tourné vers l’inconnu, patient, il ne dicte pas à l’art sa parole, il ne présume pas de ce qui est beau, il écoute en lui un fracas émotionnel vital. S’il est turbulent c’est au nom de la fraternité, s’il est excessif c’est au nom de la liberté, s’il est exigeant c’est au nom de l’égalité.
Oui, les implications de la démocratie culturelle sont si grandes qu’elles ne laissent pas en paix les vendeurs d’avenirs formatés, les agitateurs de conflits imaginaires et les pessimismes cyniques et prédateurs. Comme les nuages, les merveilleux nuages, nous ne faisons que passer et nous réunir dans l’espoir d’une vérité plus grande.
L’édito d’Olivier Py