— Par Yves-Léopold Monthieux —
Le referendum de la Nouvelle-Calédonie vient à point nommé pour nous rappeler que l’abolition de l’esclavage en 1848 n’avait pas mis fin à la colonisation française et que celle-ci allait s’enrichir en 1853 d’un nouveau territoire. Deux éléments essentiels allaient la distinguer des vieilles colonies : à l’avènement de la colonisation non esclavagisée, les acteurs des anciennes colonies, venus d’Europe et d’Afrique, ont une histoire commune vieille de 350 ans tandis que la présence d’un peuple vieux de 2000 ans s’est maintenu en dépit d’aléas divers. 1848 voit la fin en Martinique d’un système économique et social et non de la séparation d’avec la France (c’est le début de la créolisation), alors que la colonisation de la Nouvelle-Calédonie naît du choc de deux peuples qui ne se connaissaient pas. De sorte que l’insurrection du sud de septembre1870 est sans commune mesure avec ces 25 révoltes qui ont failli mettre fin à la colonisation, de 1853 à 1878, année de la Grande révolte kanak qui se solda par la mort de 200 Européens ou assimilés et de 800 à 1 000 Kanaks. Il s’était agi de lutter contre « les spoliations de terres indigènes, les dégradations subies par le bétail [des colons], les réquisitions abusives de main-d’œuvre [qui] ont fait naître un sentiment d’injustice chez les indigènes. » Le rejet, déjà, en Nouvelle-Calédonie, alors que la volonté d’intégration de la Martinique est incontestable.
Martinique – Nouvelle-Calédonie : une évolution différenciée
Bien que nos collectivités aient emprunté dans l’appartenance française des évolutions différentes, la Martinique doit se sentir interpelée par le récent référendum de la Nouvelle-Calédonie. S’il est vrai que la Collectivité territoriale (CTM), qui était récemment un département et n’a pas vraiment quitté ce statut, celle-ci a développé des réflexes et un discours de non appartenance à la République qui sont plus radicaux qu’en Nouvelle-Calédonie. Ce territoire français a bien conscience qu’elle n’est pas sortie de la colonisation et a su convaincre l’État français d’en franchir l’étape. La France aurait préféré qu’avec le temps l’ardeur indépendantiste s’affaiblisse et qu’un 3ème référendum négatif installe définitivement la Nouvelle-Calédonie dans la république. Elle se serait trompée car, il y a lieu de considérer le resserrement de l’écart à 2 années d’intervalle et de se convaincre qu’on se dirige vers le succès inéluctable du oui.
Dès lors il paraît raisonnable d’éviter une troisième consultation qui pourrait se traduire par une nouvelle défaite par un écart encore plus faible. Celle-ci serait cependant insusceptible de mettre fin au processus, mais apte à ouvrir la voie au renouvellement des incidents des années 1980. A moins, comme semble vouloir y conduire le parti Avenir ensemble, né d’une scission du parti majoritaire des « Européens », que ce 3ème référendum soit l’occasion d’un ralliement significatif de caldoches au oui. Une telle perspective ou, de préférence, un jet d’éponge de la part de ces derniers auraient le mérite d’apaiser la situation et seraient de bon augure pour cet avenir ensemble de la Nouvelle-Calédonie, qui sera devenue Kanaky.
Pour revenir à l’intérêt des évolutionnistes martiniquais pour ce qui se passe en Océanie, il convient de déplorer de leur part le recours aux explications simplistes reçues comme paroles d’évangile par les journalistes et intellectuels. Aux dires des spécialistes de la colonisation, la courte défaite des indépendantistes serait due à l’envoi massif d’Européens en Nouvelle-Calédonie depuis la publication de la lettre de Pierre Mesmer, en 1970, invitant les Français de France et de l’Outre-Mer à occuper cette colonie. Devenu ministre des DOM, celui qui fut gouverneur général de l’Outre-Mer, puis ministre des Armées, avait sans doute la nostalgie de la colonisation dure, comme un certain François Mitterrand lorsqu’il était ministre des colonies. Reste que la lettre du ministre (publiée en 1972 !) avait fait un flop et qu’il est ridicule de prétendre qu’elle ait joué un rôle déterminant dans la défaite du oui à l’indépendance.
Une décision d’émancipation venant d’en haut, octroyée par le colonisateur lui-même
En effet, dans ces cinquante dernières années, le gros de l’immigration s’est déroulé entre 1965 et 1970 lors du boom du nickel, avec un solde migratoire de plus de 5 000 habitants en 1970. L’apport des Wallisiens et futuniens avait quasiment asséché leurs territoires respectifs de leurs habitants. Après cette date, le solde a été déclinant voire négatif (- 2264 en 1975 et – 524 en 1980). Les arrivées d’origine européenne ont recommencé en 1990 et surtout après 2000, dues au cours élevé du nickel. Mais les familles françaises arrivées après 1988 n’ont pas été autorisées à prendre part aux référendums d’émancipation. De sorte que les calédoniens n’utilisent plus cet argument depuis l’accord de Nouméa, en 1988. En conséquence, les critiques que suscite la lettre de Messmer ne changent rien au fait que celle-ci ne fut pas entendue par les Français.
On peut comprendre qu’il soit fait appel à cette missive pour évoquer l’esprit colonial d’un dignitaire des années cinquante. Reste que la référence des Martiniquais aux erreurs du colonisateur ne remplacera jamais l’expérience démocratique d’une franche consultation comme en Nouvelle-Calédonie. Quoi qu’il en soit, il n’est pas honnête de tenir dans l’ignorance de ces précisions des téléspectateurs qui reçoivent généralement au premier degré ce qu’ils considèrent comme la bonne parole.
Fort-de-France, le 7 octobre 2020
Yves-Léopold Monthieux