Le volet économique du « contrat de législature » du Nouveau Front populaire (NFP) n’est pas véritablement un programme détaillé. On n’y trouve pas de données chiffrées, ce qui peut s’expliquer par la brièveté de la campagne. Toutefois, ce contrat présente diverses actions planifiées selon un calendrier en trois phases : dans les deux premières semaines, les cent premiers jours, et le reste de la législature.
Cette division chronologique permet de hiérarchiser les priorités et de poser les bases de décisions plus profondes. Ainsi, ce projet conserve une ambition de transformation, en tenant compte de la situation politique et sociale nécessitant en premier lieu de réparer un pays soumis à la violence néolibérale depuis près de quinze ans.
Soutien au niveau de vie
La première étape peut être qualifiée de « défensive », visant à mettre fin à la violence néolibérale de l’ère Macron par des mesures de protection et l’annulation de certaines réformes. Ainsi, la réforme des retraites de 2023 et la réforme de l’assurance-chômage seront abrogées (les trois réformes précédentes ne sont pas mentionnées).
La protection passera par une tentative de maîtrise de l’inflation par le « blocage des prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants ». Dans le secteur agricole, la garantie d’un prix plancher sera compensée par une taxation des superprofits de l’agro-industrie et de la grande distribution, empêchant ainsi le cercle vicieux de l’effet d’aubaine pour les profits, qui a fait flamber les prix en 2022 et 2023.
La question du niveau de vie est davantage liée aujourd’hui au niveau des prix depuis trois ans, en comparaison avec l’évolution des salaires. C’est pourquoi les mesures proposées sont centrées sur le renforcement des revenus : augmentation du minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté, augmentation du SMIC à 1 600 euros nets, et hausse de 10 % du point d’indice des fonctionnaires.
Cette politique vise à compenser la baisse du niveau de vie due à l’inflation depuis 2021. Bien que relativement modestes, ces premières mesures sont les seules pouvant être rapidement mises en place par un gouvernement. Compte tenu de l’état désastreux du secteur du commerce en France, ces mesures serviront de soutien temporaire à l’activité dans les premières semaines.
Le projet de loi de finances rectificative du 4 août rétablira l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), renforcé avec un volet climatique.
Les cent premiers jours du gouvernement du Nouveau Front populaire verront l’élargissement des mesures de soutien à l’économie. L’union de la gauche propose ainsi le rétablissement dans les trois mois de l’indexation des salaires sur l’inflation, accompagné d’une grande « conférence sociale sur les salaires, l’emploi et la qualification ». L’articulation de ces deux mesures reste à définir, le projet ne précisant pas les objectifs de la conférence. Une chose est certaine : après quatre décennies de néolibéralisme, l’État devra soutenir fermement les intérêts du travail contre le chantage à l’emploi exercé par le capital.
L’indexation des salaires sur l’inflation, bien que tardive, garantira un niveau de vie minimal pour les salariés. Une telle mesure ne sera pas nécessairement inflationniste ou récessive, car elle empêchera la baisse de la consommation, comme en 2023, et assurera des débouchés pour les entreprises nationales.
Sans augmentation de la productivité, un effet inflationniste pourrait survenir. Cependant, l’indexation des salaires sur l’inflation, en faisant pression sur la rentabilité des entreprises, incitera celles-ci à investir et à améliorer leur productivité pour réduire la part du travail dans leurs coûts.
Rappelons que quarante ans de politiques néolibérales ont prétendu améliorer les gains de productivité, mais ont conduit à une réduction de ces gains. En France, les aides massives au capital et la baisse du coût du travail ont eu un effet désincitatif, favorisant les emplois peu productifs et entraînant une baisse notable et durable de la productivité.
Planification écologique et égalité fiscale
Le projet du NFP n’est pas « anti-économique » ni « absurde » économiquement, bien que quelques réserves subsistent. Il repose sur le pari que le redressement de la productivité se trouve non pas dans un soutien aveugle au capital, mais dans un appui aux salaires et une politique ambitieuse d’investissements publics.
À ce sujet, le NFP prévoit des investissements ambitieux dans la transformation écologique. Les aides aux ménages seront « renforcées » pour assurer « l’isolation complète des logements », la rénovation des bâtiments publics sera « accélérée », et les « filières françaises et européennes de production d’énergies renouvelables » seront « renforcées ». Ce dernier point, restant flou, sera développé dans la phase suivante, après les cent jours.
Dans cette phase, le NFP propose une politique de « reconstruction industrielle pour mettre fin à la dépendance de la France et de l’Europe dans les domaines stratégiques », accompagnée d’une inscription dans cette stratégie industrielle des aides publiques aux entreprises, conditionnées à des critères environnementaux et sociaux. Un pôle public bancaire collectera l’épargne pour financer cette politique. Cette ambition rappelle les plans de Joe Biden aux États-Unis, qui ont mis en place des fléchages d’investissements et des aides, accompagnés de mesures protectionnistes (défendues par le NFP sous la forme d’une « taxe kilométrique sur les produits importés »). Cela diffère radicalement des « arrosages massifs » de la politique d’Emmanuel Macron.
Ce pôle bancaire public n’est pas anecdotique. Il vise à contourner le « privilège exorbitant » que représente le dollar pour les États-Unis, en réduisant le recours aux marchés financiers pour financer des mesures cruciales et urgentes, et en utilisant l’épargne des ménages.
Le projet du RN, fondé sur l’exploitation économique des minorités et la discrimination, s’inscrit largement dans la continuité néolibérale.
Pour rendre ce pôle public attractif, le NFP doit réguler la finance et propose d’encadrer les investissements bancaires et de mettre en place une taxe sur les transactions financières. Parallèlement, les finances publiques seront renforcées dès les cent jours (le projet évoque la date symbolique du 4 août) par une remise en cause des politiques fiscales anti-redistributives de l’ère Macron.
Ce projet de loi de finances rectificative du 4 août rétablira l’ISF, renforcé avec un volet climatique, visant les activités les plus écocides. L’« exit tax », taxant les plus-values de cession des entreprises délocalisées, sera également rétablie. Le projet du NFP propose aussi de supprimer les « niches fiscales inefficaces, injustes et polluantes ».
Ces mesures visent à financer la politique proposée et à réduire les inégalités, dont les conséquences néfastes sur l’économie sont bien documentées. Ainsi, il sera proposé de renforcer la progressivité de l’impôt sur le revenu avec quatorze tranches (contre cinq aujourd’hui), rendant les hausses de salaires moins violentes. La CSG deviendra plus progressive, et l’impôt sur l’héritage sera plus progressif, ciblant les plus hauts patrimoines avec un héritage maximum.
Un projet irréaliste ?
Ce projet mérite encore d’être précisé, ce qui pourra se faire pendant la campagne. Il fixe un cap et écarte les critiques classiques de la droite et de l’extrême droite, jouant sur l’impossibilité et le danger du projet. Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a promis « le retour du chômage de masse » en cas d’application de ce programme, avant même sa publication.
La réalité est que les alternatives ne sont pas plus raisonnables. Le projet du Rassemblement national, fondé sur l’exploitation économique des minorités et la discrimination, ne finance aucune dépense sérieusement et s’inscrit largement dans la continuité néolibérale. Le camp macroniste, quant à lui, se targue d’un « succès économique » illusoire, la baisse du chômage s’expliquant principalement par la baisse de la productivité et des aides publiques finançant des bas salaires. La politique menée depuis 2017 a dégradé les finances publiques en affaiblissant les recettes avec des cadeaux fiscaux aux entreprises. La croissance, pourtant érigée en vertu cardinale par la majorité sortante, est en berne : le PIB du dernier trimestre est encore inférieur de 1,8 % à ce qu’il aurait été si la tendance 2009–2019 s’était poursuivie, malgré les milliards déversés. La crise du niveau de vie en est la preuve.
Pour résoudre cette situation et compte tenu de la dégradation historique de la productivité, la majorité sortante propose la répression sociale par l’austérité et la réduction des droits des travailleurs. Cette politique a déjà commencé : après la réforme des retraites en 2023 et une coupe de 10 milliards d’euros dans le budget début 2024, le gouvernement promet une nouvelle réforme de l’assurance-chômage et de nouvelles coupes budgétaires massives.
La rhétorique des « réformes douloureuses, mais nécessaires » est un classique du néolibéralisme, mais après sept ans d’Emmanuel Macron à l’Élysée, elle s’accompagne d’une évidence : ces réformes ne fonctionnent pas. Le projet du Nouveau Front populaire, en se démarquant des politiques de répression sociale, s’attaque aux vraies causes de la crise économique française. Il mérite qu’on l’examine avec attention, au-delà des postures idéologiques et des caricatures.
Jean Samblé