— Par José Nosel —
En découvrant, à la télévision et sur des vidéos des réseaux sociaux, l’ampleur catastrophique des dégâts causés par l’épisode pluvieux de ce début novembre 2020, j’ai pensé à un autre épisode de pluie intense, celui de mai 2009, qui avait causé des dommages importants aux constructions et infrastructures du pays et qui m’avait inspiré une réflexion au sujet du risque d’inondations. J’en avais tiré un article publié dans la revue Antilla en juin 2009.
Je m’étais rendu compte que depuis au moins 3 décennies, où des efforts fructueux ont été portés sur la prévention des risques cycloniques et sismiques, c’étaient les risques de fortes pluies, et inondations, dans leurs conséquences, qui devenaient les risques naturels majeurs les plus fréquents de la Martinique.
Car autant ces risques de pluies et d’inondations ont des conséquences souvent catastrophiques, comme l’épisode en cours, voire parfois mortelles, autant ces risques, non seulement, nous ne les prenons pas suffisamment à la hauteur des enjeux en cause, mais encore, il me semble que, par nos comportements individuels et collectifs, nous les aggravons. En particulier, par une politique de constructions, qui pourrait être plus rigoureuse quant à leurs implantations. Mais surtout par une politique de traitement des eaux pluviales et d’évacuation qui demeure insuffisante, quand elle n’est pas tout simplement négligée. Voyez ce que je disais devant l’ampleur des dégâts de cet épisode pluvieux de 2009, dans un article de juin 2009, qui sera repris, en 2011, dans le tome 3 de mes ouvrages de « Chroniques d’écologie politique », page 211, éditions Société des écrivains, Paris, 320 pages.
Et comme en 2009, je redis, « A ceux qui ont à faire face directement aux conséquences de l’événement, avec en plus le contexte déjà plus que préoccupant de nos jours : solidarité, bon courage, tchimbé rèd.
Les inondations, principal risque majeur à la Martinique ?
Pourquoi sommes-nous toujours surpris par la survenance des inondations, et surtout par l’ampleur des conséquences de ce risque, alors qu’il constitue un de nos principaux risques majeurs à la Martinique ?
Nous voici à nouveau surpris ; surpris par un phénomène de risque ; non pas principalement par la survenance du risque, souvent difficilement prévisible, mais par l’ampleur des conséquences du risque. Le nouvel événement, une grosse quantité de pluie, pendant une brève période, en particulier en début de matinée de ce mardi 5 mai, dans un contexte pluvieux depuis plusieurs jours. Et nous voilà surpris par l’ampleur des conséquences de cet événement. Un événement qui se produit, de plus, en plein carême, en plein mois de mai. Nous sommes surpris, comme nous avons été surpris par l’ampleur des conséquence du risque cyclonique avec le cyclone Dean, surpris de l’ampleur du risque sismique, avec le tremblement de terre du mois de novembre dernier, surpris par l’ampleur du risque social, avec les événements de février dernier, événements commencés sereinement le 5 février, mais dont nous n’avons encore qu’une vague idée, aujourd’hui, de l’ampleur des conséquences à terme, de ce que certains qualifient de tsunami social. Réduire, au moins, les conséquences des risques, qui sont appelées à être de plus en plus violentes, par une mitigation appropriée, quand on ne peut pas les prévoir.
Les questions que nous souhaitons poser, ici, ne concernent pas les prévisions de ces événements ; La météo climatique, en dépit de ses modèles mathématiques et statistiques très sophistiqués, arrive aux limites de ses capacités de prévisions, sur des tout petits territoires comme notre île, avec en plus des micro-climats, générateurs d’alternances de pluies et de soleil, parfois déroutantes.
Il n’est pas rare de partir de SaintPierre sous un soleil radieux, de traverser le centre sous des trombes de pluies et d’arriver au Marin sous un soleil éclatant, en l’espace de moins de deux heures ; Quant aux tremblements de terre, on connaît l’extrême limite des possibilités de prévisions en la matière. Quand les sismographes se mettent à twister, le phénomène est déjà là ; et la méthode de « prévision » par l’observation des animaux qui, eux, pressentiraient le tremblement de terre, n’est pas entrée dans notre culture ;
S’agissant des risques sociaux, la météo sociale dispose de quelques outils d’analyse et de prévisions ; mais ce sont, souvent, ceux-là même qui ont mis en place ces outils et autres observatoires de la vie sociale, qui s’empressent d’ignorer les indications du climat social que révèlent les statistiques de ces instruments de météorologie sociale. C’est ainsi que l’observation du chômage des jeunes du pays, dans un contexte de perspectives d’avenir, encore insuffisamment ouverte, et dans un contexte d’accentuation de la violence ordinaire, permet de pronostiquer d’éventuels nouveaux risques sociaux, à venir. Mais une fois de plus, nous risquons d’être surpris, non pas par l’événement, en tout cas pour certains d’entre-nous, mais par l’ampleur, comme à chaque fois, des conséquences de la survenance du risque. Et ce, d’autant qu’il semble bien que les phénomènes de risques soient appelés à être de plus en plus violents, tandis que notre mémoire des catastrophes s’estompe très rapidement, d’un phénomène à l’autre ; dans « ce monde de l’instantanéité, marqué par ses dérèglements » que rappelle l’écrivain Amin Maalouf. Si le cyclone Dean rappelait à certains les cyclones Beula ou Edith, les pluies du 5 mai 2009 rappellent peut-être Cindy. Mais ce qui frappe, dans tous les cas, c’est que c’est le plus souvent par inondations que nous perdons des vies humaines lors de la survenance de ces événements ; c’est par les pluies abondantes et les inondations que nous viennent les gros sinistres de chaussées éventrées de glissement de terrains, de maisons et voitures emportées, de biens industriels, agricoles, artisanaux et domestiques endommagés.
Reconsidérer l’aménagement et l’organisation de notre territoire
Bref, nous n’avons peut-être pas pris en compte suffisamment les conséquences des phénomènes d’inondations.
La question est donc : peut-on réduire les conséquences de ces risques, et singulièrement les conséquences des risques d’inondations ? Bien sûr, on nous dit, il faut savoir accepter ce que l’on ne peut pas empêcher. Mais, ne peuton pas empêcher que nous subissions tant de pertes par inondations quand surviennent des phénomènes climatiques, même imprévus, comme celui que nous venons de subir ?
La réponse, plus facile à dire qu’à mettre en oeuvre, serait de reconsidérer l’aménagement et l’organisation de notre territoire, en tenant compte davantage des phénomènes de pluies abondantes et d’inondations ; c’est ainsi que : Non seulement il ne faudrait plus laisser construire dans le lit majeur des rivières, mais il faudrait enlever les constructions qui s’y trouvent actuellement ;
Le respect de la zone non aedificandi de 10m le long des berges des rivières devrait être scrupuleusement exigé et donc prévu dans tous les plans locaux d’urbanisme ;
L’expérience présente montre que le curage et nettoyage des rivières et des ravines ne doit pas se faire seulement à l’approche de la période cyclonique, mais toute l’année si possible. Les quantités de déchets entraînées par les inondations et déposées en partie dans les rues des bourgs, dans les maisons et dans les embouchures des rivières sont impressionnantes ; ce sont autant d’embâcles qui obstruent le cours habituel de l’eau et l’amène à « déborder » très rapidement hors de son cours, envahissant et emportant tout sur son passage ;
Trop de constructions demeurent encore sur des zones à très haut risque de glissement en attendant que l’événement fatal vienne le rappeler à l’occasion. Quant à cette inondation, à chaque fois, de l’autoroute, sur la portion conduisant à l’aéroport, on peut s’étonner qu’une telle situation se reproduisant à la moindre pluie n’ait pas trouvé encore de solution ; c’est surprenant. Il est vrai que les inondations constituent un risque naturel majeur dont on parle peu. Le risque volcanique, le risque cyclonique, le risque sismique, le risque de tsunami, sont des risques dont on entend parler volontiers, beaucoup moins du risque d’inondation.
Ce sont pourtant les inondations, répétons-le, qui donnent, chez nous, cette ampleur aux conséquences des catastrophes naturelles, en termes de pertes de vies humaines et de pertes de biens matériels.
Sans une certaine reconsidération de notre approche de cette question de risque, pour encore mieux anticiper les conséquences éventuelles prévisibles, je ne doute pas que nous nous réservions encore bien des surprises, hélas, pour les prochains événements à venir. A ceux qui ont à faire face directement aux conséquences de l’événement, solidarité, bon courage, tchimbé rèd.
José Nosel