Histoire(s) d’un siècle de doute sur le racisme en France
— Par Dominique Chathuant —
Collection : Histoire & sociétés
504 pages, 155 x 235 mm, 25 €
Diffusion et distribution : Harmonia mundi
ISBN : 978-2-86645-961-1
Présentation du livre
En 1919, bien avant Black Lives Matter, un policier militaire américain abat froidement à Nantes un promeneur guadeloupéen. On lit alors dans la presse indignée que les Français ne cultivent pas le préjugé des races, lequel est solennellement condamné par les députés de la seconde puissance coloniale du monde.
Bars ségrégationnistes des années 1920 ou 1960, piscine fermée aux Algériens (1964) ou diarrhée antisémite d’un sénateur SFIO (1959), d’autres affaires offrent à l’opinion l’occasion de s’indigner et d’énoncer la norme idéale d’une France immunisée contre le racisme : Raymond Poincaré s’oppose à Paris à une discrimination, forcément américaine et René Pleven juge longtemps inutile une loi antiraciste finalement votée en 1972 et qu’on persiste à tort à lui attribuer.
Loin de l’anachronisme dogmatique ou de l’idéalisation naïve, l’historien Dominique Chathuant explore le mythe immunitaire à l’échelle du xxe siècle, au cœur puis en aval du contexte colonial. Il nuance au passage l’apparente nouveauté du présent en montrant qu’on dénonce déjà en 1917 l’importation d’idées américaines, qu’on teste les discriminations dès 1939 ou qu’on emploie très tôt les termes « raciste » (1924) et « racisé » (1965).
L’auteur
Dominique Chathuant, agrégé et chercheur associé au CERHiC (EA 2616) de l’Université de Reims (URCA) a publié depuis 1992 de nombreux travaux historiques sur Vichy aux colonies, la culture politique assimilationniste ou le personnel politique d’origine coloniale sous la Troisième République. Il a contribué à plusieurs ouvrages parus à Paris, en Guadeloupe, en Martinique et à Londres.
éditions du félin
7 rue du Faubourg-Poissonnière 75009 Paris
Table des matières
Première partie : Vie et mort de « l’Union des races » (1912-1945)
Chapitre I – Comment peut-on être un Français de couleur ? Le citoyennat colonial : vestige du passé ou avant-poste du futur ? – Des Français de couleur dans la représentation nationale – L’impôt du sang – « Et le nègre continue » – « Race noire », « race juive » en République.
Chapitre II – Le préjugé de race, article d’importation ? Regards croisés franco-américains : « Les vices du nègre sont un danger constant » – Le regard des députés noirs : une insulte grave aux populations coloniales – Coups de revolver et facteurs écrasés – Race et tensions sexuelles : « cruising for Jeannette in St. Nazaire » – « Qu’y a-t-il donc eu à Saint-Nazaire ? ».
Chapitre III – Un MP américain et la vie d’un Français noir : Il était des nôtres – Du fait divers à l’affaire politique – « Il ne faut pas que le prestige de la France soit diminué aux yeux de ses fils adoptifs » – La Chambre proclame l’égalité des races.
Chapitre IV – « En 1934 […] le préjugé aura disparu » : « Ils écrivent tout ce qu’ils veulent sur les nègres » – « La théorie des races inférieures a vécu » – Français de couleur contre métèques.
Chapitre V – Union des races et cohésion impériale : Les ministres noirs de la République coloniale – L’affaire d’Éthiopie contre la cohésion impériale ? – Union contre trahison : « Nous avons avec les juifs une destinée pareille » – Au Quartier latin, l’invention du test antiraciste (juin 1939) – Les Français de couleur peuvent-ils encore regarder en face leurs compatriotes de race blanche ? (1940-1942).
Deuxième partie : Vers la fin du déni ? (1945-2000)
Chapitre VI – Permanences et ruptures du discours sur le racisme après 1945 : Reductio ad Hitlerum, reductio ad fascem – Nouvelles normes internationales et crépuscule de l’indigène – Vent d’Est, vent d’Ouest.
Chapitre VII – Le racisme est-il possible en France ? (1946-1972) : Problème du passé et problème étranger – Antisémitisme : l’immunité acquise en 1945 ? (1959-1980) – Paris-Londres : « Ici on ne sert pas les nègres » (1963-1966) – Guerre d’Algérie à la piscine : « On n’est pas raciste à Saint-Claude » (1964) – Le « racisme raisonnable que s’accordent les honnêtes gens » : un sujet de société des années 1960 – Des personnalités humiliées qui témoignent.
Chapitre VIII – La patrie des droits de l’homme a-t-elle besoin d’une loi ? (1959-1972) : La loi Marchandeau, détournée, ignorée, inadaptée – La France a-t-elle besoin de la Convention de l’ONU contre les discriminations raciales ? – L’exception française fait de la résistance – René Pleven fait son chemin de Damas (février-mars 1972) – Ceci n’est pas une « loi Pleven » (7-21 juin 1972) – Extrême droite et mythe d’une « loi Pleven ».
Chapitre IX – À la recherche de la rupture de 1972 : Connivence sociale et responsables introuvables – Culture de ratonnade et crimes requalifiés – Le racisme piégé, nié et reconnu.
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Quelques points du livre
Dès 1919, on a voté à la Chambre des députés un texte condamnant le préjugé de race, perçu comme américain ou allemand, jamais comme français. Le préjugé de race est donc dénoncé très tôt en France. On organise même des tests depuis 1939 (et non 1999).
Contrairement à une idée reçue, il y avait des gens noirs et citoyens dans l’hexagone à l’époque coloniale. Il y avait même des ministres noirs dans certains gouvernements des années 1930.
De Poincaré à Mandel, Pompidou ou Giscard, on ne compte plus aux différentes époques, le nombre de déclarations redoutant que le racisme vienne s’installer en France, avec l’idée que le phénomène serait inédit.
Dans les années 1920-1930, en cas de discriminations dans l’hexagone, on se plaignait volontiers auprès du ministère des colonies. Le discriminé était alors perçu comme un Français objet du préjugé d’un étranger allemand ou américain. Avec la décolonisation, celui qui est discriminé est un étranger qui se plaint à son ambassade. A la fin du XXe siècle, les médias peinent à comprendre que le discriminé est souvent un Français (renvoyé à une origine étrangère à laquelle on ne renvoie plus les Français descendant d’étrangers européens). A la cohésion impériale, a succédé l’impératif de cohésion nationale.
Dénoncer le racisme après la décolonisation équivaut pour beaucoup à mettre la France en accusation. Ce n était pas le cas dans les années 1920 1930, quand dénoncer le racisme mettait en accusation des étrangers.
Aux États-Unis, on a lutté contre une ségrégation largement assumée et défendue. En France, la lutte contre les discriminations a d’abord été un combat contre un déni.
Il est plus probable de penser que les auteurs de discriminations se sont adaptés à la loi en adoptant des codes après 1972, plutôt que d’imaginer une flambée des actes de discriminations dans les années 1990.
Le terme « racisé », pris pour un néologisme, était employé par Colette Guillaumin en 1972, comme le rappelle Gérard Noiriel (2021). On trouve dans le livre une mention datant de 1965 et qui permet de remonter raisonnablement à 1963-1964. Ceci étant, l’emploi actuel du terme semble indiquer une essence qui ferait naître « racisé ». L’acception retenue dans le livre ne s’entend que dans un contexte historique : n’importe qui peut être ponctuellement racisé en vertu d’un contexte précis mais il faut raison garder sur les réalités des discriminations.
La loi de 1972 n’est pas une loi de Pleven, lequel y a longtemps résisté en tant que garde des Sceaux. Il semble que ce surnom lui vienne à la fois de milieux nationalistes bretons et de l’extrême-droite.
Edgar Morin voyait dans l’année 1945 le moment du choc de la découverte des camps nazis et beaucoup avec lui pensaient que l’opinion s’en était retrouvée immunisée contre l’antisémitisme. La gravité de certaines affaires antisémites des années 1950 (le boucher de Saint-Quentin, les affaires Hochberg et Auberger) amène à en douter en se demandant au vu des enquêtes connues si le recul de l’antisémitisme ne procède pas en partie d’un remplacement des générations : les générations les plus antisémites disparaissent et les nouvelles générations concernées par la guerre d’Algérie sont plus arabophobes et moins antisémites.