« Nous, professionnels du cinéma, appelons à doter la France d’un musée national du cinéma »

C’est en racontant le septième art à nos publics que nous garderons la maîtrise de notre histoire, juge un collectif de personnalités du septième art membres du conseil d’administration de la Cinémathèque française, dont le réalisateur Costa-Gavras et l’actrice Carole Bouquet.

C’est en 1895, à Paris, sur les Grands Boulevards, que les frères Lumière ont fait d’une invention technique le moteur d’une projection et d’une émotion collective, devant les trente-trois premiers spectateurs de l’histoire du cinéma.

Cette histoire n’a cessé de s’enrichir et, cent trente ans après, la France est plus que jamais la patrie du septième art : celle d’une cinématographie au palmarès inégalé, celle de la population la plus cinéphile au monde, celle des 6 200 salles de cinéma et des 800 festivals – dont celui de Cannes, centre de la création mondiale –, celle d’un modèle de financement – par le CNC et les obligations d’investissement des diffuseurs – admiré partout, celle d’une politique publique qui permet une diversité de films unique au monde, des plus populaires aux plus exigeants.

Une seule ombre à ce tableau : la France a plusieurs fois manqué l’occasion de créer le grand musée du cinéma que le public attend, comme en témoigne le succès des expositions de la Cinémathèque française dans un lieu pourtant peu adapté.

Nous possédons les plus belles collections au monde car, depuis sa création, en 1936, la Cinémathèque française collecte et conserve non seulement les films du monde entier, mais aussi tous les objets et documents liés à leur fabrication : affiches et photographies, costumes et décors, appareils de projection et caméras, scénarios et story-boards, jusqu’aux lanternes magiques du précinéma.

Il faut que le public puisse enfin découvrir, dans un ensemble cohérent qui reflète la valeur internationale de notre collection, exemples entre mille, les décors des Enfants du paradis, de Marcel Carné, la tête momifiée de Psychose, d’Alfred Hitchcock, les dessins de Federico Fellini, le robot de Metropolis, de Fritz Lang, le premier cinématographe Lumière, les esquisses de Kenji Mizoguchi ou la caméra avec laquelle a été tourné Autant en emporte le vent, de Victor Fleming.

Réparer une erreur de l’histoire

Un tel projet a existé un temps, mais depuis la fermeture accidentelle, des suites d’un incendie en 1997, du Musée de la Cinémathèque française, ces collections fabuleuses sont en caisse. Ainsi, la France, berceau du septième art, n’est plus en mesure de proposer au public de tous les pays le grand récit de l’histoire mondiale du cinéma et de dévoiler la richesse de son avenir.

Alors que les Américains viennent d’ouvrir le Musée des Oscars [à Los Angeles], qui rencontre un succès considérable, il est temps d’offrir à notre pays et au monde le grand musée du cinéma dont nous avions rêvé avec [l’ancien ministre de la culture] Jack Lang il y a quarante ans.

Ce ne serait pas seulement réparer une erreur de l’histoire. Ce serait, surtout, offrir, à tous les Français et à ceux qui nous rendent visite, un lieu témoin qui montre que le cinéma, porteur des petites histoires et des grands récits, reste le meilleur creuset de notre monde commun, le plus populaire des arts, celui qui rassemble les foules et procure les plus belles émotions collectives.

Ce musée national du cinéma ne serait pas un musée de plus : nous l’imaginons comme un vaste espace de découvertes et de rencontres qui mêlerait installations scénographiques et projections, ateliers pédagogiques et recherches savantes sur l’histoire du cinéma, reflétant aussi la révolution contemporaine de nos métiers. Car c’est en racontant le cinéma à nos publics que nous garderons la maîtrise de notre histoire, comme de notre futur.

C’est pour cette raison que nous, professionnels du cinéma, membres du conseil d’administration de la Cinémathèque française, appelons à doter la France de ce musée national du cinéma. Il serait l’incarnation supplémentaire mais indispensable de l’ambition de notre pays à faire rayonner, diffuser et perpétuer un art qu’il a inventé et qui fêtera, en 2025, son cent trentième anniversaire.

Les membres élus et les personnalités qualifiées du conseil d’administration de la Cinémathèque française : Costa-Gavras (président), cinéaste ; Olivier Assayas (vice-président), cinéaste ; Nathalie Baye, comédienne ; Saïd Ben Saïd, producteur ; Dominique Besnehard, producteur et agent artistique ; Bruno Blanckaert (trésorier), directeur général du cinéma Le Grand Rex, à Paris ; Bertrand Bonello, cinéaste ; Carole Bouquet, comédienne ; Laurence Braunberger (vice-présidente), productrice ; Véronique Cayla, présidente des Césars ; Caroline Champetier, directrice de la photographie et cinéaste ; Grégoire Chertok, banquier d’affaires ; Nathalie Coste-Cerdan, directrice générale de La Fémis ; Claire Denis, cinéaste ; Arnaud Desplechin (secrétaire), cinéaste ; Sidonie Dumas, directrice générale de Gaumont ; Mia Hansen-Løve, cinéaste ; Sylvie Lindeperg, historienne ; Nicolas Philibert (secrétaire), cinéaste ; Volker Schlöndorff, cinéaste ; Sophie Seydoux, présidente de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé.

Collectif