—Par Michel Feltin-Palas —
Aujourd’hui, il n’existe pas un, mais plusieurs français, qui diffèrent selon les professions, les régions, les milieux sociaux, l’oral ou l’écrit. Et il n’y a plus de consensus sur la « norme » à respecter.
« La statistique est estampillée par le vénérable Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) : 90% des personnes vivant en France parlent français. Certains s’alarmeront des 10% « manquants » – pour l’essentiel des immigrés. Ceux-là ignorent sans doute que jamais ce pourcentage de non-francophones n’a été aussi faible. Une enquête diligentée sous le second Empire le précisait : en 1863, un quart de la population ne parlait pas la langue nationale !
Un « piaf » désigne un débutant, chez les pompiers.
Aujourd’hui, 9 habitants de l’Hexagone sur 10 parlent donc français, mais… ce n’est pas forcément le même. Chaque profession, par exemple, a ses termes propres. Les marins n’ont pas de cuisinier mais un « coq »; chez les pompiers, un « piaf » est un débutant ; dans la presse, on ne dit pas « article » mais « papier »…
Nous ne parlons pas tous le même français
Par Michel Feltin-Palas,
Aujourd’hui, il n’existe pas un, mais plusieurs français, qui diffèrent selon les professions, les régions, les milieux sociaux, l’oral ou l’écrit. Et il n’y a plus de consensus sur la « norme » à respecter.
Le français diffère aussi selon les régions. A Marseille, on appelle « cagole » une fille un peu vulgaire ; dans le Sud-Ouest, le boulanger ne vend pas de pains au chocolat mais des « chocolatines »; dans le Jura, un « bragueur » désigne un fanfaron. Il faut aussi compter avec les groupes sociaux : selon les milieux, la même situation sera qualifiée de « mauvaise », de « nuisible » ou de « délétère ». Dans les cités « sensibles », selon l’euphémisme en vigueur, une langue à part a vu le jour -« Elle me kiffe pas ? Zyva, j’m’en carre! » (elle ne m’aime pas? Je m’en fous). Une langue quasiment incompréhensible pour le reste de la population – c’est d’ailleurs l’un de ses buts.
Il existe enfin un décalage frappant entre l’oral et l’écrit. « Depuis le XXe siècle, le français parlé a beaucoup évolué, note Alain Rey, le patron du Petit Robert. Le passé simple a régressé ; les abréviations comme « proprio » ou « prof » se sont multipliées ; la distinction des « a » de patte et de pâte s’est estompée. Le problème est que cette évolution du français oral, qui est naturelle, a coïncidé avec une quasi-stabilité du français écrit. »
Cet écart entre la graphie et la prononciation inquiète Hélène Carrère d’Encausse, « le » (elle y tient) secrétaire perpétuel de l’Académie française. « Jusqu’à la fin du XXe siècle, le « bon usage » était celui de la langue écrite, à laquelle la langue parlée tentait de ressembler. Il est aujourd’hui remis en cause, de même que les idées de « norme » et de « faute ». A tort. »
« Prof » ou « proprio » se sont imposés.
C’est peu dire qu’Alain Rey ne partage pas cette opinion. « Il est évident que la norme du français commence à échapper à la classe qui la définissait traditionnellement : la bourgeoisie cultivée de l’Ile-de-France. Il existe aujourd’hui des sous-normes concurrentes, notamment celles des médias, de l’école et des discours politiques. »
Cet amoureux de la langue française n’approuve pas forcément toutes ces évolutions, mais, à ses yeux, la faute est moins un manquement à la norme qu’un moyen de remédier aux limites du français écrit. Retournement insupportable pour les tenants de la tradition !
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