Nous ne nous en sortirons que par nous-mêmes

— Par René Ladouceur —
Quand comprendrons-nous, nous Guyanais, que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes ? Quand en tirerons-nous, surtout, de justes conclusions ?
Ce qui se joue aujourd’hui avec la démission des urgentistes de l’Hôpital de Cayenne conduit à rechercher sans tarder des réponses à ces questions vitales.
Depuis la départementalisation, les Guyanais se sont habitués progressivement à l’idée que, même s’ils faisaient mille bêtises, il y aurait toujours quelqu’un pour les sauver de leurs propres turpitudes. Et la France, il est vrai, s’est progressivement installée dans ce rôle de Mère patrie. Et de fait, elle a mis en place chez nous un système de protection sociale que nombre de nos voisins nous envient encore.
Longtemps, les Guyanais ont fait mine de ne pas comprendre que, en vérité, ce soutien était motivé par de juteuses contreparties : à la Libération, la France, exsangue, a abondamment puisé dans l’or de la Guyane, pour payer ses dettes et surtout pour renflouer ses caisses. Plus tard, notre inespérée position géographique a aidé la France à consolider son leadership dans la construction de l’Europe spatiale. Et le marché guyanais offre toujours à « la Métropole », comme on l’appelle encore, d’écouler à satiété matériels et marchandises, pas souvent de qualité première d’ailleurs. 
Plus encore, ce soutien est toujours resté sous contrôle et soigneusement limité : pour l’Hexagone, il est impératif que la Guyane ait toujours besoin de lui. On se souvient du mot de lord Chatham : « Les colonies ne doivent rien pouvoir manufacturer, pas mêmes un clou ou un fer à cheval ». Résultat, l’économie de la Guyane est aujourd’hui encore largement dépendante des importations de biens et de matières premières. Les filières productives locales n’ont pas la capacité de répondre à la demande. Pis. Notre taux de couverture, c’est-à-dire notre capacité de financer nos importations par nos exportations, ne cesse de se dégrader. De 13,4 % en 2007, il est passé à un peu plus de 10 % en 2017 alors que jusqu’au début des années 70 il oscillait autour de 20/22 %.
Une étude universitaire vient formellement éclairer cette tendance. Chaque fois, apprend-t-on, que Paris injecte 100,00 euros dans l’économie guyanaise – sous la forme de dotations aux collectivités, de salaire de fonctionnaires, de subventions aux associations, de prestations sociales-, 85,00 euros repartent aussitôt vers Paris, par le biais des très nombreux biens que nous importons.
Il faut dire que les Guyanais ne se sont pas davantage préoccupés de ce cynisme faussement altruiste, comme ils ne se sont pas beaucoup battus pour créer les conditions de leur autonomie, qu’ils ont fini du reste par rejeter massivement en 2010, à l’occasion de la trop célèbre consultation populaire.
Aujourd’hui, tout semble changer. Les Guyanais ne peuvent plus ne pas voir qu’ils sont livrés à eux-mêmes ; que Paris n’est plus là pour les défendre ; que le gouvernement prend ses décisions sans tenir compte ni de leurs points de vue, ni de leurs intérêts.   
Et ce n’est pas propre à Emmanuel Macron. Bien avant, depuis au moins Georges Pompidou, l’Etat n’a cure du développement de la Guyane. Jacques Chirac avait même théorisé cette désinvolture en formulant le stupéfiant concept de « L’intérêt général avant l’intérêt des DOM » : il fallait sans doute toute la flamboyance de l’ancien Maire de Paris pour que nul ne relève l’indécence d’une pareille formule.
Le drame, c’est que parallèlement la Guyane s’appauvrit à un rythme des plus effrénés. Le pays de Georges Othily enregistre un taux d’activité sensiblement inférieur à celui de l’Hexagone (55,5 % versus 71,4 %) tandis que 40% de sa population vivent actuellement sous le seuil de pauvreté, soit 10 points de plus qu’en 2001.
Ces chiffres apparaissent comme le signal ultime d’un système politique pour le moins défaillant, comme s’il n’y avait plus de réelle logique, comme si la déconnexion entre Cayenne et Paris avait atteint son paroxysme.
L’évolution statutaire pour une véritable autonomie de gestion n’est plus une option parmi d’autres. Elle risque même de devenir la condition nécessaire à notre survie.

René Ladouceur

L’église de Sinnamary