— Par Jean-Marie Nol, économiste —
L’économie est une science sociale qui semble largement incomprise par une très large frange de la population aux Antilles. Produit intérieur Brut (PIB), croissance, dépenses publiques, taux d’endettement, politique de l’offre, relance par la demande, déficit budgétaire, flexibilité, austérité…Des expressions familières, des repères statistiques, des sigles, des acronymes inscrits dans notre réalité quotidienne sans que pour autant chacun d’entre nous soit véritablement en mesure d’en livrer la signification précise.Curieusement, au moment où les bouleversements géopolitiques, technologiques , économiques, sociaux, énergétiques, écologiques, climatiques, menacent tout à la fois l’équilibre des forces politiques, économiques, militaires mais aussi et surtout la survie de l’humanité et de l’ensemble des espèces vivantes, partout la science économique rayonne , mais paradoxalement sauf aux Antilles !
Cela étant incontestablement dû à notre avis à l’histoire coloniale des Antilles et surtout à l’État providence ainsi qu’à notre actuel modèle de développement économique héritage de la départementalisation. L’exemple de la Martinique est particulièrement le plus parlant, car les émeutes actuelles contre la vie chère témoignent d’un profond malaise social. La population, exaspérée par la flambée des prix et les inégalités, se mobilise dans un contexte économique déjà gravement fragilisé. Les tensions sociales, alimentées par des revendications légitimes sur le pouvoir d’achat, se transforment en violences qui paralysent une économie martiniquaise au bord du gouffre. En Guadeloupe, c’est une grève d’ampleur des agents de l’EDF qui complique davantage une situation économique déjà difficile. Cette grève affecte gravement la vie quotidienne des habitants, mais aussi les entreprises, déjà étouffées par une spirale inflationniste et une stagnation de la croissance. Ces deux exemples d’agitations sociales traduisent une profonde fracture entre les attentes des populations locales et la réalité économique à laquelle elles sont confrontées.
L’ironie de cette situation réside dans le fait que les activistes et les syndicats, en menant des actions jusqu’au-boutistes, ne semblent pas mesurer l’ampleur des dégâts qu’ils causent à un tissu économique extrêmement fragile. Alors que les revendications sont principalement d’ordre social, les conséquences économiques de ces mouvements risquent d’aggraver une situation déjà précaire, non seulement pour les entreprises mais aussi pour les particuliers. Ces actions, censées soulager les souffrances liées à la hausse du coût de la vie, ne font qu’amplifier les difficultés économiques des deux îles. Les entreprises locales, déjà affaiblies par la conjoncture économique globale, peinent à survivre dans un climat d’incertitude exacerbé par les grèves et les manifestations. En paralysant l’activité économique, ces mouvements sociaux risquent de priver de nombreux Martiniquais et Guadeloupéens de leurs emplois, contribuant ainsi à l’aggravation du chômage et à une pauvreté accrue.Ce manque de conscience des conséquences de ces actions est d’autant plus alarmant que la situation économique ne devrait pas s’améliorer dans un avenir proche.
Avec la politique d’austérité et les coupes budgétaires drastiques que le gouvernement de Michel Barnier envisage de mettre en place, les départements d’outre-mer, y compris la Martinique et la Guadeloupe, seront particulièrement exposés aux effets de ces ajustements financiers. La réduction des crédits alloués aux services publics, aux aides au logement, aux investissements économiques et aux plans de transformation va frapper de plein fouet ces territoires, où la dépendance à l’État est beaucoup plus marquée que dans l’Hexagone.
Dans ce contexte, continuer à perturber l’économie locale par des mouvements sociaux risquerait de précipiter la Martinique et la Guadeloupe dans une crise économique et sociale encore plus grave.Les syndicalistes et les activistes semblent ne pas voir que les blocages qu’ils imposent risquent de se retourner contre eux et contre l’ensemble de la population. En cherchant à protéger leurs intérêts immédiats par le biais d’actions à priori légitimes , mais sans concession, ils mettent par leur radicalité en danger l’avenir même de leurs territoires. La cécité face aux réalités économiques locales et globales, combinée à une méfiance croissante envers le gouvernement central, contribue à entretenir une atmosphère de défiance qui ne laisse guère de place au dialogue et à la recherche de solutions constructives. Pourtant, il est urgent de prendre en compte l’impact de ces actions sur l’économie locale, car dans une société aussi dépendante des aides publiques et des subventions de l’État, la fragilisation du tissu économique par des grèves prolongées ou des manifestations violentes pourrait avoir des conséquences dramatiques et irréversibles.
Le paradoxe de ces mouvements sociaux réside donc dans leur incapacité à comprendre que la précarité qu’ils cherchent à dénoncer ne fera qu’empirer si la situation économique se détériore davantage. Les temps à venir s’annoncent encore plus durs, avec des réformes structurelles qui devront être mises en œuvre pour tenter de stabiliser les finances publiques, tant au niveau national qu’au niveau local. L’austérité et les restrictions budgétaires que le gouvernement prévoit imposer ne feront qu’ajouter à la pression sociale déjà palpable dans ces territoires. Les populations des Antilles risquent d’être les premières victimes de cette nouvelle ère d’ajustements budgétaires, mais aussi de l’incapacité à anticiper les conséquences de leurs propres actions sur l’économie locale.
C’est bien dans ce contexte délétère que la situation financière de la France et en particulier celle des départements d’outre-mer, dont la Guadeloupe, s’avère de plus en plus préoccupante. Avec un endettement public national qui dépasse les 110 % du PIB, la France est loin d’une stabilisation budgétaire et fait face à des défis structurels qui nécessitent des ajustements profonds et urgents. Le poids de la dette publique, en constante augmentation depuis plusieurs décennies, met le pays dans une situation où la soutenabilité de ses finances est gravement menacée.
En effet, le taux d’intérêt sur la dette atteint aujourd’hui un niveau équivalent au taux de croissance nominal, un équilibre fragile qui pourrait être rompu à tout moment. Si les taux d’intérêt venaient à dépasser la croissance économique — à cause de hausses des taux d’emprunt ou d’une diminution de la croissance économique — l’effet boule de neige de la dette deviendrait insoutenable, conduisant à une crise de refinancement majeure. Pour éviter une telle issue, les experts estiment qu’il faudrait réduire les dépenses publiques d’environ 110 milliards d’euros. Or, cette réduction doit être réalisée avec une extrême prudence. Trop rapide, elle risquerait de ralentir la croissance de manière trop brutale et de provoquer une résistance sociale importante. Trop lente, elle conduirait à une explosion supplémentaire de la dette, compromettant la solvabilité de la France et inquiétant les marchés financiers, ce qui pourrait entraîner une crise financière comparable à celle qu’ont traversé la Grèce, l’Espagne et le Portugal lors de la crise de la zone euro.En outre, la France se trouve dans une position économique où les dépenses publiques et les prélèvements obligatoires sont déjà très élevés en comparaison avec d’autres pays. Par conséquent, les économistes s’accordent à dire qu’il serait plus efficace de réduire les dépenses publiques que d’augmenter les impôts.
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Une hausse des impôts risquerait d’asphyxier davantage la croissance, alors qu’une réduction raisonnée des dépenses publiques pourrait, au contraire, contribuer à relancer l’économie. Il est donc crucial de comprendre que le choix entre réduction des dépenses et hausse des impôts n’est pas uniquement une question politique, mais bien une question d’efficacité économique. Dans le cas de la France, la stabilisation, puis la réduction de l’endettement public, est impérative pour garantir la pérennité du système de protection sociale et maintenir un niveau de vie acceptable.
Cette situation est encore plus délicate pour les territoires d’outre-mer, dont la Guadeloupe, qui se trouvent directement impactés par les choix budgétaires du gouvernement. Les documents fournis à la commission des finances de l’Assemblée nationale révèlent une baisse programmée des crédits alloués à la mission Outre-mer d’au moins 9,2 %, un pourcentage qui pourrait avoir des conséquences dramatiques pour ces territoires déjà fragiles. Cette réduction budgétaire se concrétisera dans la loi de finances 2025, que le nouveau gouvernement de Michel Barnier devra défendre devant le Parlement. Une cure d’austérité d’une ampleur sans précédent s’annonce pour la Guadeloupe et l’ensemble des départements d’outre-mer, avec des coupes de l’ordre de 200 millions d’euros.Les inquiétudes sont nombreuses et légitimes quant à l’impact de ces mesures sur des secteurs clés. La réduction des crédits de la continuité territoriale, la baisse des aides au logement, la diminution des investissements dans les plans de convergence et de transformation, ainsi que la réduction des aides économiques aux entreprises, suscitent la stupéfaction et l’incompréhension des acteurs locaux. Il est difficile d’imaginer comment le gouvernement pourra justifier de telles coupes budgétaires, alors que ces dispositifs sont essentiels au bon fonctionnement de l’économie et au maintien de la cohésion sociale dans les outre-mer. Le risque est donc bien réel que ces réductions des dépenses publiques, si elles sont mal gérées, provoquent une véritable crise socio-économique dans ces territoires.
Ainsi, la Guadeloupe, déjà confrontée à de nombreux défis structurels, pourrait se retrouver dans une situation encore plus difficile si des ajustements financiers trop brutaux étaient imposés. L’avenir financier de l’île semble compromis si des mesures compensatoires ou un accompagnement spécifique ne sont pas mis en place pour limiter les effets dévastateurs de cette nouvelle austérité. La question qui se pose désormais est de savoir si la Guadeloupe, comme d’autres territoires ultramarins, a encore une marge de manœuvre financière suffisante pour absorber ces chocs sans sombrer dans une crise plus profonde. Les mois à venir seront déterminants pour l’avenir économique et social de la région, et il est à espérer que les décisions politiques qui seront prises tiendront compte de la nécessité de préserver un équilibre entre rigueur budgétaire et justice sociale. Il est donc crucial que les acteurs sociaux et économiques de la Guadeloupe et de la Martinique prennent conscience des enjeux réels auxquels ils sont confrontés.
En continuant à agir comme si les ressources de l’État étaient inépuisables, et en perturbant le fonctionnement d’une économie déjà très fragile, ils risquent d’aggraver encore leur propre situation. L’époque de l’argent magique est bel et bien révolue. La solution à ces crises sociales ne réside pas dans la confrontation ou dans le refus des réalités économiques, mais dans une prise de conscience collective de la nécessité d’adapter les revendications à la capacité réelle des territoires à y répondre. Il est encore temps d’éviter le pire, mais cela nécessitera un changement de mentalité et de perspective des enjeux du futur et une volonté de compromis, tant de la part des populations locales que des autorités nationales.
» Kod a yanm ké finn on jou pa maré yanm » .
Traduction littérale : Les lianes de l’igname finiront bien un jour par attacher l’igname.
Moralité : On est souvent prisonnier de ses propres contradictions et pris à son propre piège de radicalité .
Jean marie Nol économiste