— Collectif —
Philippe Lamberts et dix-sept autres députés européens issus de cinq groupes politiques différents demandent, dans une tribune au « Monde », une nouvelle stratégie globale pour une économie européenne de postcroissance qui intègre des objectifs sociaux et environnementaux.
Plus de cinq mille personnes participeront en personne et en ligne à la conférence « Beyond Growth 2023 » [Au-delà de la croissance], du 15 au 17 mai, une initiative transpartisane qui se déroulera au Parlement européen, à Bruxelles, et que nous, députés européens de cinq groupes politiques différents et non-inscrits, organisons ensemble, aux côtés de plus de 60 organisations partenaires.
Avec cette conférence de trois jours réunissant des intervenants de haut niveau issus des institutions européennes, du monde universitaire, des syndicats, des entreprises et des organisations de la société civile, notre objectif est de questionner la doctrine dominante qui sous-tend les politiques publiques de l’Union européenne (UE) et de redéfinir nos objectifs communs dans tous les domaines, en s’éloignant de la focalisation néfaste sur la croissance économique comme seule base de notre modèle de développement.
En effet, notre modèle économique actuel, fondé sur une hypothèse de croissance infinie, a atteint ses limites. Tout d’abord, une croissance économique perpétuelle, basée notamment sur la consommation de combustibles fossiles, entraîne des dérèglements climatiques catastrophiques.
Un modèle économique actuel instable
Ensuite, la poursuite illimitée de la croissance repose sur l’épuisement des ressources naturelles, la destruction de la biodiversité et l’accumulation de déchets et de pollutions. Cela présente également des risques pour notre santé, nos économies et nos sociétés dans leur ensemble.
Par ailleurs, le modèle économique actuel contribue aux inégalités et à l’exclusion sociales. L’accent mis sur la croissance économique ne s’est pas traduit par une répartition égale des richesses ni par une égalité des chances. Au contraire, il a entraîné une concentration de la richesse et du pouvoir entre les mains de quelques-uns, au détriment du plus grand nombre.
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Enfin, le modèle économique actuel est intrinsèquement instable et sujet aux crises, comme l’ont démontré, par exemple, la crise financière de 2008 et la pandémie de Covid-19. La recherche de la croissance à tout prix a créé un système économique mondial fragile et vulnérable aux chocs.
Plus grand pluralisme de la pensée économique
En tant que députés européens issus de différents groupes politiques, nous avons des points de vue différents sur la manière de parvenir à une économie qui dépasse le seul objectif de croissance. Cependant, nous sommes tous d’accord sur l’urgence et l’importance de ce débat, et sur la nécessité de sortir du dogme de la croissance.
Nous partageons le point de vue selon lequel nous avons besoin d’un système économique qui donne la priorité au bien-être humain et à la soutenabilité écologique plutôt qu’à la croissance du PIB, un système qui reconnaît qu’une croissance infinie sur une planète finie est impossible, et que nous devons trouver de nouvelles façons d’organiser nos économies sans dépendre de l’exploitation continue des ressources et de l’augmentation constante de la production et de la consommation.
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Nous appelons à un plus grand pluralisme de la pensée économique au sein des institutions européennes et à son alignement sur la recherche scientifique, notamment dans le domaine des sciences climatiques, écologiques et sociales. Nous demandons que les modèles économiques et autres outils d’aide à la décision politique soient plus diversifiés, plus complets et plus lisibles pour les citoyens. Nous demandons que les processus de prise de décision soient alignés sur des objectifs politiques communs, plutôt que sur la base de la variation de quelques points de PIB.
Durabilité écologique et justice sociale
En tant que décideurs politiques, nous pensons également qu’il est de notre responsabilité de proposer un nouveau champ des possibles pour les politiques publiques. Nous nous engageons donc à consacrer notre énergie, dans le cadre de notre travail parlementaire, à soutenir des propositions audacieuses et ambitieuses qui ouvrent la voie à une prospérité soutenable dans l’UE et au-delà. En particulier, nous faisons les propositions suivantes pour le niveau européen et les Etats membres de l’Union :
Développer une nouvelle stratégie globale pour une économie européenne postcroissante qui intègre pleinement les objectifs sociaux, environnementaux et économiques. Le pacte vert pour l’Europe (European Green Deal), en tant qu’initiative-phare de l’UE pour lutter contre le changement climatique et promouvoir un avenir durable, est une étape importante et nécessaire, mais il ne reconnaît pas les limites de la croissance.
Une nouvelle stratégie est nécessaire. Elle doit être basée sur les principes de durabilité écologique, de justice sociale et de bien-être, et doit donner la priorité aux politiques qui contribuent à ces objectifs.
Promouvoir une approche pluraliste des indicateurs et des modèles macroéconomiques utilisés par l’UE et ses États membres. En nous appuyant sur le travail réalisé par la Commission européenne et de nombreuses autres institutions, nous appelons à une gouvernance des politiques publiques reposant sur des indicateurs mesurant les progrès au-delà du PIB, sur l’utilisation de modèles macroéconomiques visant le respect des limites planétaires et l’amélioration du bien-être social, et sur le développement de budgets verts et de budgets sensibles au genre.
Concevoir notre architecture institutionnelle pour mieux servir la stratégie postcroissante. En nous inspirant des propositions faites par de nombreux universitaires avant la première conférence post-croissance au Parlement européen, nous proposons de créer une direction générale de la soutenabilité et de la qualité de vie au sein de la Commission européenne, une commission spéciale sur la postcroissance au sein du Parlement européen et un ministère de la transition économique dans chaque Etat membre. Chacune de ces structures devrait être responsable de l’élaboration de politiques publiques permettant d’aller au-delà de la croissance économique et de la coordination des efforts de l’UE dans ce domaine.
L’intérêt du public pour une économie européenne tournée vers l’avenir n’a jamais été si grand, et la tenue d’un tel débat au sein du Parlement européen est un symbole fort. La conférence « Beyond Growth » offre une occasion unique d’avoir un débat pluraliste, connecté à la recherche scientifique dans toute sa diversité, qui répond aux attentes concrètes de nos concitoyens. Concevoir des voies politiques pour assurer une vie digne à chacun dans les limites sociales et environnementales de notre société n’est pas seulement souhaitable. C’est aussi une nécessité absolue.
Collectif : Manon Aubry (France, Gauche unitaire européenne/NGL) ; Katalin Cseh (Hongrie, Renew Europe) ; Pascal Durand (France, Socialistes & Démocrates) ; Bas Eickhout (Pays-Bas, Verts/ALE) ; Dino Giarrusso (Italie, non-inscrits) ; Petros Kokkalis (Grèce, GUE/NGL) ; Aurore Lalucq (France, S&D) ; Philippe Lamberts (Belgique, Verts/ALE) ; Pierre Larrouturou (France, S&D) ; Marisa Matias (Portugal, GUE/NGL) ; Ville Niinistö (Finlande, Verts/ALE) ; Sirpa Pietikäinen (Finlande, Parti populaire européen) ; Manuela Ripa (Allemagne, Verts/ALE) ; Helmut Scholz (Allemagne, GUE/NGL) ; Kim van Sparrentak (Pays-Bas, Verts/ALE) ; Marie Toussaint (France, Verts/ALE) ; Ernest Urtasun (Espagne, Verts/ALE) ; Maria Walsh (Irlande, PPE).
Collectif
Source : Le Monde
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