—- Collectif —
La fermeture de blocs opératoires pour ouvrir des lits de réanimation à destination des patients Covid-19 conduit à déprogrammer des interventions chirurgicales. Dans une tribune au « Monde », un collectif de quatre-vingt-neuf chirurgiens demande de fixer des limites à cette stratégie, avant d’être réduits à ne plus traiter que les urgences vitales.
A l’heure où nous vivons une nouvelle vague de l’épidémie de Covid-19, les alertes se multiplient sur la pérennité d’un accès des patients aux soins critiques (services de réanimation). Nos collègues réanimatrices et réanimateurs ainsi que quarante et un directrices et directeurs de crise d’hôpitaux, ont récemment sonné l’alarme sur l’épreuve du choix de patients à laquelle ils risquent d’être de plus en plus confrontés à l’entrée des réanimations.
Nous, chirurgiennes et chirurgiens, sommes également confrontés à un tri : quels patients déprogrammer ?
Suivant les paliers de l’évolution de l’épidémie, nous recevons l’injonction de déprogrammer des interventions déjà planifiées, ce qui nous contraint à sélectionner les patients à opérer en priorité.
Perte de chance
Notre choix se base sur la gravité et l’évolution de leur maladie, mais aussi sur l’absence d’autres problèmes de santé pouvant potentiellement nécessiter leur passage en réanimation en postopératoire et donc occuper un lit devenu tellement précieux. Cette sélection concerne même certains patients devant être opérés pour cancer. Nous nous appuyons alors sur les réflexions et recommandations de nos sociétés savantes et de nos comités d’éthique rédigées lors de la première vague.
Si un certain nombre d’interventions n’ont pas de caractère d’urgence, il n’en reste pas moins que le report de certaines chirurgies peut entraîner une perte de chance pour ces patients qui restent sur une liste en attente d’être reprogrammés.
Chaque fois que nous fermons deux blocs opératoires pour ouvrir des lits de réanimation « hors les murs », celà permet de mobiliser un médecin anesthésiste-réanimateur, deux infirmiers anesthésistes et certains infirmiers de bloc formés aux soins critiques pour prendre en charge ces lits supplémentaires.
Généralement, cette fermeture s’étend sur plusieurs semaines. Ainsi, sur un mois, celà permet de soigner huit à douze malades atteints de formes graves de Covid-19, mais conduit de fait à déprogrammer quatre-vingt-dix à deux cents interventions, selon le type de chirurgie habituellement réalisée dans ces blocs fermés.
Cancers et autres maladies
Si la pression sur les réanimations se fait trop forte, les blocs opératoires risquent d’être réduits à ne plus traiter que les urgences vitales. Peu de solutions sont prévues pour poursuivre une activité chirurgicale permettant d’opérer les cancers et autres maladies dont la chirurgie peut être le traitement le plus efficace. Cette situation n’est pas acceptable pour nos patients et nous ne souhaitons pas avoir à choisir entre deux types de cancers !
Afin de maintenir les chirurgies urgentes ou semi-urgentes, oncologiques, obstétricales et spécialisées non différables (chirurgie cardiaque, neurochirurgie, pédiatrie, etc.) qui représentent annuellement environ 30 % des chirurgies réalisées sous anesthésie en France, nous demandons la sanctuarisation, coûte que coûte, d’un périmètre chirurgical minimum et le maintien d’un parcours de soins incluant un accès préservé à la consultation et ce, quelle que soit la situation épidémique.
Il nous semble donc nécessaire de fixer des limites à cette stratégie de déprogrammation afin de continuer à répondre à tous les besoins de santé publique, même dans un contexte épidémique. Le Covid-19 n’a pas fait disparaître les autres patients qui exigent également nos soins et notre engagement collectif. Restons tous conscients de cette réalité actuellement moins médiatique.
Pour gagner cette guerre, nous ne devons négliger aucun front au risque de nous faire déborder là où nous ne l’attendons pas.
Liste complète des signataires de la tribune sur le tri des patients by LeMonde.fr on Scribd