—Par Scarlett JESUS, critique d’art—
Exposition de Peintures et Film
Christian SABAS et l’Atelier du non faire
Mardi 15 octobre, 19 à 21h, et jusqu’au 22 octobre. Médiathèque du GOSIER
« Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir, en fait, de l’enfer ».
Antonin Artaud, Van Gogh, le suicidé de la société, 1956
Est-ce le fait de vivre en contact avec la folie qui a fait de Christian Sabas un révolté ?
A moins que le fou ne soit que le nom donné par la société à celui qui en refuse les codes ?
Et si les fous, c’étaient nous. Nous qui nous croyons sages, refusant d’admettre que nos certitudes ne sont qu’illusions trompeuses.
Dans une annexe de l’hôpital Maison Blanche, Pavillon 53, Christian Sabas tournant le dos aux soins psychiatriques traditionnels, ouvrit un atelier artistique destiné aux personnes en souffrance. C’était en 1983.
L’Atelier du non-faire.
Un atelier de pratique, pour le plaisir de s’adonner à une pratique sans finalité. Dans une posture de gratuité, délibérément en rupture avec les dictats de productivité et de la rentabilité de nos sociétés post-capitalistes.
Une utopie que Christian Sabas a faite sienne, bien avant les événements de 2009 qui donna lieu à la déclaration suivante qui clôturait le Manifeste de 9 intellectuels martiniquais :
« Petits pays, soudain au cœur nouveau du monde, soudain immenses d’être les premiers exemples de sociétés post-capitalistes, capables de mettre en œuvre un épanouissement humain qui s’inscrit dans l’horizontale plénitude du vivant… ».
L’Atelier du non-faire était destiné à « mettre en œuvre un épanouissement humain ». Car en réduisant les hommes à n’être que des producteurs soumis, le post-capitalisme a fait de nos sociétés, et de notre être au monde, un enfer. Antonin Artaud ne disait pas autre chose. Le geste créateur se revendique alors comme l’affirmation la plus élevée d’une humanité se débattant avec le chaos-monde. Et qui refuse de se laisser briser.
Christian Sabas peint mais ne se définit pas comme un artiste, un professionnel de l’Art. Ce qu’il peint ne rentre dans une aucune des catégories définies, y compris celle de l’art brut. Il rend compte de ce qui l’habite, ce qui le hante. Instinctivement et de la façon la plus authentiquement possible, il donne forme à ses visions.
Des visions en noir et blanc de personnages, tantôt en mouvement cherchant maladroitement leur équilibre, tantôt statiques, voire même parfois entremêlées les uns aux autres de façon grouillante. Des visions qu’il inscrit sur papier kraft ou sur de longues bandes qu’il déroule ensuite, suspendues, telles la pellicule d’un film muet. Faisant défiler des formes plus ou moins indécises, ressemblant à des ombres fugaces que le pinceau tenterait de retenir. Mais aussi d’autres visions, plus ambitieuses par leurs dimensions et leur composition. Christian Sabas a recours alors à la couleur pour faire surgir à même la toile de lin suspendue, des figures hiératiques qui semblent venir d’un très lointain passé. Des figures comme enfouies dans les plis de la mémoire et qui aspirent à remonter à la lumière. Affirmant, par delà le néant de l’oubli, une présence forte. L’utilisation de toiles usagées et jaunies, le traitement que le peintre fait subir à la pâte pour obtenir craquelures et patine, matérialisent alors, de façon concrète, cette épaisseur du temps contre laquelle il convient de lutter.
Christian Sabas semble être « habité ». Il n’explique, ni ne commente ses œuvres. Il les expose telles quelles, brutalement, à nos yeux. A la façon d’un surgissement qui ressemblerait aussi à un don de soi. A travers un geste qui, renouant avec le sacré, nous invite à communier à sa quête de l’inconnu, laquelle, plongeant au plus profond de son être, relève fondamentalement du mystère. Celui du vivant.