Quelques semaines après les attentats du 13 novembre, il est proposé d’inscrire l’état d’urgence dans la Constitution. C’est pourquoi il faut rappeler ce que signifient, dans une société démocratique, les principes d’un Etat de droit : toute restriction des libertés doit être strictement nécessaire à la protection de l’ordre public, proportionnée aux troubles qu’elle entend empêcher et accompagnée de contrôles ; celui du gouvernement par la représentation nationale et celui des autorités administratives et policières par des juridictions dotées de pouvoirs effectifs.
Rappeler ces principes ne signifie pas que le droit doit ignorer les situations exceptionnelles. Mais toute mesure d’exception doit rester fidèle à ces principes, au risque de basculer dans un régime non démocratique.
Contournement de fondements républicains
L’état d’urgence permet, sur la base de simples soupçons policiers, des assignations à résidence qui instituent une véritable rétention administrative à domicile, ainsi que des perquisitions sans autorisation judiciaire. Il ne vise pas seulement des personnes soupçonnées de terrorisme, mais les suspects de « menace pour la sécurité et l’ordre publics » ou d’« atteinte grave à l’ordre public ». En outre, il a permis d’interdire des rassemblements, alors que des manifestations commerciales ou sportives restaient autorisées, et il a facilité des gardes à vue de citoyens sur lesquels ne pèse nul soupçon de terrorisme.
Le projet d’inscrire l’état d’urgence dans la Constitution ne vise pas à mieux encadrer les pouvoirs exorbitants accordés à l’exécutif – notamment en rappelant les limites résultant des droits « indérogeables » énumérés par la Convention européenne des droits de l’homme –, mais à renforcer ces pouvoirs, en leur donnant une base constitutionnelle qui les mette à l’abri d’une éventuelle censure du Conseil constitutionnel. Tout comme l’inscription dans la Constitution de la déchéance de nationalité pour les Français de naissance vise à contourner les fondements républicains du droit de la nationalité.
Nous appelons la représentation nationale à refuser la pérennisation de l’état d’urgence ; à préserver les principes de nécessité et de proportionnalité de toute limitation des droits fondamentaux et libertés publiques ; et à renforcer les garanties d’un contrôle démocratique sur les décisions gouvernementales et d’un contrôle juridictionnel effectif sur leur mise en œuvre.
Enfin, nous appelons les citoyens à résister à la tentation de la peur qui paralyse et à s’unir pour la défense des libertés, sans lesquelles le souci de la sécurité pourrait se transformer en règne de l’arbitraire.
Véronique Champeil-Desplats, Jacques Chevallier, Mireille Delmas-Marty, Jean-Pierre Dubois, Stéphanie Hennette-Vauchez, Geneviève Koubi, Christine Lazerges, Danièle Lochak, Yves Mény, Serge Slama, Catherine Teitgen-Colly sont juristes universitaires.