« Nomad », « Soul Chain » & « Boxe Boxe Brésil »

— Par Roland Hélié —

Nomad
Sidi Larbi Cherkaoui / Compagnie Eastman

Passée l’ouverture de Vaison-Danses 2024, systématiquement réservée à l’école intercommunale de danse, le festival présentait Nomad de Sidi Larbi Cherkaoui / Compagnie Eastman, l’une des deux compagnies du chorégraphe. Spectacle consacré, sinon au nomadisme à proprement parler, au désert dont il décline parfois brillamment certaines des figures. Pour qu’il n’y ait aucune équivoque, l’image photographique d’une terre désertique et déshydratée, photo animée par la variété des intempéries, couvrait le fond de scène où, de temps à autre – à vue malgré le noir – les onze danseurs se préparaient et entraient sur le plateau. Pour y produire une première partie plutôt enlevée, laquelle prend fin en deux magnifiques tableaux. Le premier voit trois danseurs se couvrir d’une immense robe noire pour hausser l’un deux au rang de Commandeur, de grand orateur des sables alors que s’élevait le chant de Kaspy Ndia. Il en résulte une sorte d’oraison chantée dans une langue non identifiée, l’impression durable de devenir le témoin où le fidèle d’une indéchiffrable liturgie du lointain. Le second quant à lui met en scène deux danseurs convertis en montures d’un bestiaire fantastique ou d’une caravane de l’étrange que chevauchent leurs habiles écuyers.
Incapable d’en produire ne fut-ce qu’un seul, la deuxième partie hélas restera toujours très en deçà de ce double acmé. Couverts d’une sorte de boue, les danseurs dansent comme peuvent traîner les trains jusqu’à l’image finale, sur l’écran du fond de scène, d’une explosion atomique aussi inattendue que saugrenue.

Soul Chain
Sharon Eyal / Compagnie Tanzmainz

Pour un spectacle, c’est un spectacle ! Soul Chain de Sharon Eyal, danseuse et chorégraphe venue de Batsheva Dance Company de Ohad Naharin, est un spectacle qui tient tout à la fois du ballet contemporain bien entendu mais également de l’épreuve physique et émotionnelle, de la transe, d’une rave techno exorbitée, de l’électro-choc, de la robotique hallucinée, d’une râpe à bois appliquée méthodiquement sur le système nerveux tout entier, la « chaîne de l’âme » éponyme étant ici à entendre dans le double sens de la chaîne de production, comme on en trouve encore dans les usines, et de la réaction en chaîne dont on ne mesure jamais exactement l’amplitude et les répercussions. Il en résulte une onde choc à tout le moins, une heure enlevée –et peut-être- est-ce là que bât blesse – sur une intensité unique, sans le moindre contraste rythmique, la moindre baisse de régime comme si nous étions livrés à nous-même dans un train devenu fou. Est-ce une vision de l’amour, et des émotions qui lui sont propres, que Sharon Eyal ne cesse d’explorer semble-t-il ? Quoi qu’il en soit au demeurant, Soul Chain reste un grand moment de danse contemporaine qui ne peut, et ne devrait, laisser personne indifférent.
Soul Chain, Chorégraphie Sharon Eyal – Musiques Ori Lichtik – 60’

 

Boxe Boxe Brésil
Mourad Merzouki / Compagnie Kafig

Inutile de tourner autour du pot, de multiplier les circonvolutions : Boxe Boxe Brazil de Mourad Merzouki, présenté en clôture de Vaison-Danses 2024, est l’un des spectacles chorégraphiques les plus navrants qu’il m’ait été donné de voir depuis longtemps. En chorégraphiant – le terme est sans doute impropre – les figures stylistiques de la boxe anglaise, Mourad Merzouki décline à satiété la seule figure du coup : jab, crochet, uppercut et ainsi de suite, qu’une caricature bedonnante et clownesque d’arbitre fait mine d’orchestrer. A quoi s’ajoutent en matière d’accessoires, le sac de frappe, la poire de vitesse, le punching-ball auxquels chaque tableau ou numéro est dédié à tour de rôle. Il en résulte 60 minutes d’acrobaties diverses, de gymnastique au sol, de prouesses athlétiques, de virevoltes hip-hop… rien moins qu’un spectacle de rue en somme. Dieu merci, la partition, jouée en direct sur le plateau par le quatuor Debussy – on se demande d’ailleurs ce que celui-ci est allé faire dans cette galère – relève autant que faire se peut cette gesticulation sans grâce ni élégance. Et ce n’est pas le plus triste : à peine terminé le spectacle, Pierre-François Heuclin, le Directeur artistique du Festival, annonçait au public en liesse, que Mourad Merzouki serait l’invité d’honneur de l’édition 2025. Ça promet !
Boxe Boxe Brazil, Chorégraphie Mourad Merzouki – Musiques Quatuar Debusssy – 60’