5, 6, 7, & 8 octobre 2016 à 19h 30 au T.A.C.
— Par Roland Sabra —
Novio aime Novia qui aime Leonardo. Dans ce triangle racinien insérez un clan Montaigu et un clan Capulet, soumettez l’ensemble à l’antique et inexorable Fatum, enrobez de poésie et vous avez l’argument de Noces de Sang de Federico Garcia Lorca.
Voyons de plus près. (Acte 1). Au sud de l’Espagne, Novio un jeune paysan a travaillé dur pour acheter une vigne qui lui permet de demander la main de la riche héritière Novia, qui fût un temps fiancée à Leonardo du clan des Felix, responsable de l’assassinat au couteau du père et du frère de Novio. De cet impossible deuil la mère de Novio garde en son cœur une sourde colère et un désir de vengeance inassouvi. Si elle consent au mariage de Novio c’est que des intérêts patrimoniaux, des projets de réunification de terres l’y conduisent tout comme ils conduisent aussi le consentement de Novia toujours amoureuse en réalité de Léonardo. Celui-ci plus par raison que par sentiment s’est marié. Sa femme est une épouse délaissée et sans doute détestée. La nuit il rôde autour de la maison de la Novia. (Acte 2). Invité le jour des noces il arrive le premier au tout début du jour, a un échange passionné avec la Novia à peine régulé par la présence de la nourrice, quitte l’amour de toute sa vie, la laisse revêtir sa robe de mariée, se rend à l’église. Novio épouse donc Novia. Au retour de la messe alors que le festin se prépare, que la noce danse , la femme de Leonardo découvre la fuite de son mari avec Novia. (Acte 3). Novio, le mari guidé par la Lune et la Mort, part à la chasse aux deux fugitifs, les retrouve, affronte son rival dans un combat au couteau…
Dans le duel entre raison et passion, cette dernière est certes triomphante mais elle laisse derrière elle un désert peuplé de vies dévastées. Le personnage de la mère est sans doute le plus complexe. Autoritaire, phallique, elle maintient sous sa coupe Novio qu’ elle répugne à voir quitter la maison maternelle, la laisser seule, pour une femme qui eut, il n’y a pas si longtemps partie liée avec un clan ennemi. On peut voir dans son comportement comme la mise en œuvre du règlement d’une dette de sang par l’intermédiaire de son dernier fils qu’elle semble aimer avec moins d’intensité que son mari et son fils aîné morts. Ce rôle est sans aucun doute le plus difficile à tenir et n’est pas Germaine Montero qui veut. « La » Montero comme on disait de son vivant. On y pense avec regret lors de ces « Noces de sang » mises en scène par William Mesguisch. Et l’on se dit aussi que l’art théâtral ne se transmet pas par les gènes.
C’est à une reprise trois ans après sa création que l’on a assistée au T.A.C. de Fort-de-France. Une reprise poussive, un peu paresseuse, un peu « cachetonneuse ». Le texte est parfois récité, sans mise en chair et si le travail d’épure, resserré autour de cinq comédiens est réussi, si l’intensité dramatique arrive tant bien que mal à émerger, si la chronique sociale des deux premiers actes est quand même racontée, la dernière partie, très poétique et marquée du sceau très avéré du surréalisme verse par facilité du coté du carnaval avec le déguisement et la grandiloquence de La Mort.
Étaient-ce les lumières, mal réglées qui montraient des sorties de scènes comme des sorties de confesse à la queue leu-leu ? Étaient-ce des fatigues du voyages, qui balançaient les tirades comme un rapport de police ? Était-ce un manque de répétition qui faisait des comédiens une série d’individus et non une troupe ? On ne saura. Le texte de Lorca méritait mieux, plus de travail, plus de subtilité et sans aucun doute plus d’audace. Le rapport qu’entretient Novio à sa mère n’est fait que de soumission alors qu’il n’est pas que le bras armé avec le quel la mère poursuit sa vengeance. Il agit aussi au nom de valeurs qu’il a faites siennes. De même Leonardo est présenté de bout en bout comme un bloc monolithe de haine dont on se demande comment Novia a pu en tomber amoureuse. Celle-ci, traversée par des atermoiements, balancée entre sa passion et son sens du devoir vit ce conflit sur le mode binaire du tout ou rien. Et c’est à Maeterlinck, si bien servi par Claude Régy en d’autres temps, en d’autres lieux, que l’on pense en quittant le théâtre. Maeterlinck qui écrivait : « Par dessus les dialogues ordinaires des sentiments et de la raison, s’attacher à faire entendre le dialogue solennel et ininterrompu de l’être et de la destinée ». On eut beau tendre l’oreille…
Fort-de-France, le 06/10/2016
R.S.