Par Selim Lander – No comme Non en espagnol. Il y a plusieurs manières de dire Non, de s’opposer à l’état du monde jugé insupportable. On peut s’armer d’un revolver ou d’une bombe, exposer directement sa vie, par exemple. Ou protester avec les moyens de l’intellectuel ou de l’artiste – un pamphlet, une chanson, un tableau…, moyens en principe sans risque sauf lorsqu’on affronte une dictature sanguinaire, ce qui était le cas, au Chili, sous le règne de Pinochet. No, le film se passe au Chili en 1988, au moment où le régime, sous la pression internationale, s’est résolu à organiser un référendum pour ou contre le maintien de Pinochet, déjà au pouvoir depuis 1973, pour huit années supplémentaires. Les deux camps ont droit à une émission quotidienne de propagande de quinze minutes à la télévision. Au départ le camp du Oui est donné largement vainqueur, le régime jouant à la fois sur la peur et sur ses succès économiques ; c’est pourtant le Non qui l’emportera.
Le film du Chilien Pablo Larrain est centré sur la campagne télévisuelle en faveur du Non à travers quelques protagonistes. Le personnage principal, René Saavedra dans la vie réelle, est un jeune publicitaire (interprété par le comédien espagnol Gael Garcia Bernal), il est entouré en particulier par un représentant des politiques et un cinéaste-caméraman. Contre l’avis des politiques, le publicitaire oppose une vision joyeuse, positive de la campagne et il a finalement gain de cause.
Il est difficile de savoir, en regardant le film, ce qui relève de la réalité et ce qui relève de la fiction. Les morceaux de propagande qui sont montrés sur un écran de télévision sont-ils ou non tous authentiques ? A vrai dire, ce n’est pas tant cela qui importe, pas plus que de savoir si la campagne télévisuelle a eu autant d’impact que le film le laisse supposer, car il n’explique en aucune manière le déclin du régime. L’intérêt du film est plutôt de nous faire réfléchir sur la signification de l’engagement. René n’est pas présenté comme un héros, alors qu’il ne cesse de prendre des risques, même s’il ne saurait les mesurer. Il se croit à l’abri puisque le Chili est alors sous haute surveillance : Le régime ne saurait s’attaquer ouvertement aux responsables de la campagne du Non, sous peine de révéler immédiatement sa véritable nature, ce qu’il ne souhaite évidemment pas. Cela n’empêche que René et sa famille fassent l’objet de menaces. Jusqu’où le régime est-il prêt à aller pour contrer une opposition de plus en plus dangereuse pour lui, voilà ce que René ne peut savoir. Est-il plus courageux qu’il ne le croit lui-même, ou bien son comportement ne traduit-il qu’une tendance à minimiser le danger qui n’aurait rien à voir avec le courage ? Ce sont des questions que l’on se pose en regardant le film et dont on voit bien qu’elles ne sont pas seulement théoriques, qu’elles nous interpellent – comme on dit – directement. Qu’aurions-nous fait à la place de René, où situer la limite de notre propre courage ?
En même temps, le film amène à méditer sur la force des images quand elles sont mises à la sauce publicitaire, aussi honorable que soit la fin. Les militants qui se sont toujours opposés à la dictature commencent par s’insurger contre ce qui leur apparaît sans doute à juste titre comme un dévoiement de la politique, avant de s’incliner devant les exigences du communicant professionnel, au nom de l’efficacité. Et c’est la même chose dans le camp d’en face où l’on tentera, in extremis, d’utiliser les mêmes méthodes.
Le film est bien mené, avec un côté artisanal fort sympathique. Un point faible, déjà évoqué, tient au traitement du camp du Oui, trop schématique, à la limite de la caricature. Mais on ne s’ennuie jamais et il y a dans la campagne du Non, telle qu’elle nous est montrée, une inventivité et une fantaisie de bon aloi.
Dans le cadre des Rencontres Cinéma de Fort-de-France, à Madiana le 17 juin 2013.