Tout le monde connaît ses « nanas » aux formes opulentes et aux vêtements multicolores, mais une rétrospective au Grand Palais donne à voir un autre versant de Niki de Saint Phalle : féministe, torturé, engagé, sans concession.
« Peindre calmait le chaos qui agitait mon âme. C’était une façon de domestiquer ces dragons qui ont toujours surgi dans mon travail », a écrit l’artiste.
A travers les 200 oeuvres et archives (dont beaucoup inédites) réunies par Camille Morineau, commissaire de l’exposition, Niki de Saint Phalle apparaît comme une créatrice radicale et avant-gardiste, dénonçant violemment la société patriarcale, la religion ou le racisme.
En 1961, quatre ans avant les premières « nanas », elle entame ainsi la série des « tirs », des panneaux où sont fixés des objets symboliques et des sacs de couleur, le tout recouvert de plâtre blanc. Niki, aidée parfois d’amis ou d’assistants, tire ensuite dessus à la carabine, répandant ainsi les couleurs.
Particulièrement frappant, un grand panneau, intitulé « King Kong » (1963), associe entre autres une attaque aérienne contre des tours d’une grande ville – étrange présage du 11 septembre -, des masques de dirigeants politiques, dont le général de Gaulle, et un accouchement – thème récurrent de l’oeuvre de l’artiste qui a eu deux enfants.
Elle s’attaque aussi à l’Eglise catholique à travers la série des autels. Sur « Autel O.A.S » (on est en 1962), une énorme chauve-souris voisine avec des armes de poing et des crucifix.
Trois ans plus tard, les premières « nanas » apparaissent. « Des femmes puissantes, joyeuses, très dynamiques, souvent plus grandes que nature – et que les hommes – et qui dansent », souligne Mme Morineau.
Leur réunion dans une grande salle est jubilatoire. L’une d’elles, noire, tête en bas, est déjà une danseuse de hip hop. Une autre porte le nom de Rosa Parks, figure de la lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis. « Le temps est venu d’une nouvelle société matriarcale », déclare alors Niki de Saint Phalle qui commença comme mannequin et sut anticiper le pouvoir des médias.
– Pour un art accessible à tous –
Mais chez elle, les femmes sont aussi des « mères dévorantes », des sculptures troublantes, massives, présentées dans l’exposition dans de grandes boîtes rouge vif. « J’ai déjà représenté la bonne mère avec les +nanas+, je me consacre désormais à son antithèse, à cette mère qu’on aimerait ne pas être », écrit l’artiste.
Un couple inquiétant promène une araignée, symbole fréquent dans son oeuvre, anticipant Louise Bourgeois. Dans « Les funérailles du père », Niki enterre son propre géniteur, Alexandre de Saint Phalle, issu d’une lignée de nobles remontant au XIIIe siècle, alors que sa mère est américaine.
Un an plus tard, en 1972, elle tourne son premier long métrage « Daddy » où est évoqué très directement l’inceste subi avec son père à onze ans. Elle en parlera en 1994 dans un livre de mémoires, « Mon secret ».
Mais, au-delà de ces tourments et de ces obsessions, c’est aussi le choix d’un art accessible à tous qui a dominé son travail.
Influencée par Gaudi ou le Facteur Cheval, Niki, décédée en 2002 à l’âge de 71 ans, n’a eu de cesse de créer des oeuvres monumentales, d’une imagination débridée, ouvertes au grand public et qu’elle a presque intégralement financées.
En 1966 déjà, elle construit à Stockholm avec deux autres artistes une « nana » monumentale, « Hon », dont il ne subsiste qu’une maquette. L’accès des visiteurs se faisait par son sexe.
Mais son projet le plus ambitieux est « Le Jardin des Tarots » en Toscane, oeuvre d’une vie (de 1978 à 1996), inspirée notamment par le Parc Güell à Barcelone et le jardin de Bomarzo, près de Viterbe en Italie, où se déploient des bâtiments à la forte charge symbolique.
L’exposition présente aussi pour la première fois une sculpture monumentale en métal, « Le rêve de Diane », où se lit l’influence de Jean Dubuffet pour lequel Niki avait une grande admiration.
(du 17 septembre au 2 février – puis du 27 février au 7 juin 2015 au Musée Guggenheim de Bilbao – Catalogue publié par les éditions RMN-Grand Palais – 368 pages)
2014 AFP