— Par Hélène Combis —
C’est l’Épiphanie ! Entre deux parts de galette, prenez le temps de vous pencher sur la véritable histoire des mages telle qu’elle a été racontée dans la Bible (avant qu’elle soit réécrite par la tradition) et d’en découvrir le sous-texte.
Serez-vous reine ou roi de la galette cette année ? Douze jours après Noël, l’Épiphanie célèbre la visite des mages venus d’Orient, à Jésus nourrisson. Aujourd’hui, on les connaît sous les noms de Gaspard, Melchior et Balthazar, comme les a nommés au VIe siècle la tradition, qui a pérennisé l’idée qu’ils étaient trois, venus de continents différents, et en a fait des rois. En réalité, l’épisode initial tel qu’il est raconté par Saint Matthieu, le seul évangéliste à avoir évoqué ces mages, est extrêmement énigmatique, et surtout très peu historique.
Un très court passage dans la Bible : « Tout l’effort de chercher là un épisode qui se serait véritablement déroulé est erroné. »
“Il n’y a pas grand chose d’historique en dépit de tout ce que l’on peut chercher. Je crois que ce texte est déjà volontairement écrit comme une légende« , commentait à propos de l’épisode des mages l’anthropologue Jean Lambert, chercheur au CNRS, dans Les Chemins de la connaissance en 1993. Seul Saint Matthieu parle de « mages » dans son Évangile, écrite entre 70 et 90 ans après la naissance de Jésus. Assez peu de lignes sont consacrées à ces mystérieux astrologues ; voici l’extrait central de ce court récit :
Jésus étant né à Bethléem de Judée, aux jours du roi Hérode, voici que des mages d’Orient arrivèrent à Jérusalem, disant : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile à l’Orient et nous sommes venus l’adorer. Ce que le roi Hérode ayant appris, il fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. […] Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue à l’Orient allait devant eux, jusqu’à ce que, venant au-dessus du lieu où était l’enfant, elle s’arrêta. A la vue de l’étoile, ils eurent une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, trouvèrent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils l’adorèrent ; puis, ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent des présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Et ayant été avertis en songe de ne point retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Ni trois, ni rois, et privés de noms
D’après le Nouveau Testament, le nombre des mages n’est donc pas mentionné, pas plus que leurs noms, ou que leur provenance précise, comme le soulignait Jean Lambert : « Le texte de Matthieu ne dit pas qu’ils sont des rois, pas plus qu’il ne dit qu’ils sont trois, ou qu’il y en a un qui serait noir et les deux autres arabes. Tout ce que l’on sait, c’est qu’ils viennent, ils donnent, et ils partent par une autre route.«
C’est en fait le nombre des cadeaux (or, encens et myrrhe) qu’a retenu la tradition, pour pérenniser l’idée que ces mages étaient au nombre de trois. Et c’est à l’éminent théologien de Carthage, Tertullien, qu’ils doivent leur couronne : au IIe siècle, celui-ci, qui s’est converti au christianisme, rapproche le texte de Saint Matthieu d’autres textes bibliques, et notamment du psaume 72 qui claironne : « Les rois de Tarsis et des îles enverront des présents, les rois de Saba et de Séva paieront le tribut, tous les rois se prosterneront devant lui ». Les mages deviennent-ils rois dès ce moment-là ? L’histoire de l’art témoigne qu’il faut quand même attendre le XIIe siècle pour les voir représentés avec une couronne.
Enfin, c’est un manuscrit du…. VIIIe siècle, intitulé Excerpta latina barbari (« Extraits latins d’un barbare ») qui les baptisera « Gaspard », « Melchior » et « Balthazar » :
In his diebus sub Augusto kalendas ianuarias magi obtulerunt ei munera et adoraverunt eum, magi autem vocabantur Bithisarea, Melichior, Gathaspa. « Excerpta latina barbari », extrait
Un texte écrit comme une légende
Pour Jean Lambert, le récit de Matthieu a clairement des allures de légende ; il s’agit d’un récit de naissance royale comme il en existe pléthore dans la tradition proche-orientale :
On peut rappeler les caractéristiques de ces légendes-types : il s’agit souvent d’un individu dont les parents sont de filiation royale [la filiation avec le roi David pour Jésus, NDR]… Quant à savoir si c’est une réalité ou une interprétation théologique de Matthieu… Pour faire que Jésus soit roi, il est naturel d’utiliser les ressources littéraires de légendes de nativités royales : elles disent presque toujours que l’enfant est l’objet d’une conception inhabituelle, parfois même fils d’un dieu. Sa naissance est dramatique, des tentatives pour le tuer sont extrêmement courantes [rappelons que chez Matthieu, le roi Hérode veut faire tuer Jésus pour conserver sa couronne, NDR], la naissance est généralement signalée par un signe cosmique, l’étoile…
Généalogie de Jésus narrée en trois moments, couple instruit par un ange, arrivée des mages, étoile, Hérode… autant d’éléments auxquels s’ajoute la séquence centrale de la prosternation des mages, qui relève de manière protocolaire du récit d’un rituel d’intronisation royale. Toutes les étapes spécifiques amenant à la reconnaissance du caractère royal du protagoniste sont en effet méthodologiquement respectées, le premier indice étant bien sûr l’étoile ayant guidé les mages. Car l’anthropologue rappelle qu’en Perse, en Iran, les constellations sont le signe par excellence de la désignation qu’un nouvel individu dispose d’un mandat céleste….
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