Neuvième Biennale de danse : Seydou Boro, Kaori Ito

— Par Selim Lander —

Après l’effet de sidération produit par les douze danseurs bodybuildés de la pièce Ce que le jour doit à la nuit (vendredi 27 avril) virevoltant sur le plateau dans un désordre savamment organisé par Hervé Koubi, il fallait une pièce au moins aussi forte pour lui succéder[i]. Quels que soient les mérites de Seydou Boro et de ses danseurs, force est de constater qu’ils supportent difficilement la comparaison avec les diables blancs[ii] d’H. Koubi. On ne dira pas la même chose de Kaori Ito (voir la photo), étonnante danseuse mais dont la pièce pèche, hélas, d’un autre côté.

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Dans un décor évoquant un village de la savane africaine, avec un rideau de branchages en fond de scène, évoluent les quatre danseurs et la danseuse du Cri de la chair, accompagnés par un musicien (chant et harpe traditionnelle) et une chanteuse. Concernant cette dernière, si l’on salue les méandres de son chant a capella, nous sommes obligé de dénoncer l’absence de tout surtitre. Nous pressentons en effet que la danse est ici au service d’un texte primordial (au sens d’originaire) qui nous demeure malheureusement étranger.

Les bras s’agitent et s’élèvent en attendant que les mains viennent se plaquer sur le crane en un geste d’imploration. Autre geste stéréotypé, lorsque les quatre longilignes danseurs (parmi  lesquels le chorégraphe) inclinent le buste, mains croisées dans le dos. Tout cela – encore une fois pour qui « n’entend pas » les paroles des chants – fait une pièce dont on regrette qu’elle n’exploite pas davantage les ressources des quatre danseurs au physique si semblable (ils sont tous très grands, très minces, à la peau foncée) qui attire le regard et contraste avec celui de la danseuse (à la peau claire et qui paraît petite par contraste).

En prélude, sur l’esplanade de l’Atrium, Seydou Boro avait donné en solo une pièce brève, une démonstration pourrait-on dire, sur le thème du cheval.

Fort-de-France, 28 avril 2018

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Danse théâtre. Kaori Ito a choisi de se mettre en scène avec son père dans Je danse parce que je me méfie des mots, une pièce qui combine danse et théâtre. Rien qui nous répugne plus a priori que ces œuvres chargées de véhiculer une piété filiale et qui, en littérature, encombrent les tables des libraires et les colonnes des suppléments littéraires des grands journaux. La panne d’inspiration est la seule excuse que l’on peut trouver aux écrivains qui commettent de telles œuvres mais pourquoi les critiques littéraires se croient-ils obligés de promouvoir ce genre d’ouvrages – intéressants seulement pour leurs auteurs – alors que tant de « vrais romans » cherchent en vain à se faire une place au soleil, voilà une question dont nous aimerions bien avoir la réponse[iii].

Tandis que les écrivains attendent que leur sujet soit passé de vie à trépas avant de le coucher entre les pages d’un livre, Karo Ito n’a pas eu cette patience, Hiroshi Ito, son vieillard de père, est bien vivant et présent en choir et en os sur le plateau. Hiroshi Ito a été scénographe, sculpteur (une œuvre de lui, plutôt séduisante, est le seul élément de décor de la pièce de sa fille), mais pas danseur, même s’il est encore ingambe (à défaut de se montrer vraiment fringant). Or il est requis ici en tant que danseur ! Bien sûr, on comprend que sa fille soit profondément émue de le voir se démener sur la scène, et de même le père de partager avec elle ce qui est sans nul doute pour eux deux un moment de grâce : qu’ils comprennent néanmoins à leur tour que nous ne soyons pas dans la même disposition d’esprit ; la  présence du vieillard paraît simplement incongrue.

Et c’est dommage car on aimerait tant voir davantage Karo Ito faire montre de son indéniable talent au lieu de débiter des banalités avec ou sans micro et d’inciter son père à l’accompagner ! Car elle est superbe : formée à la danse classique et capable, par exemple, de faire les pointes pieds nus sans effort apparent, elle met toute cette technique raffinée au service d’une danse très moderne, inventive et pleine d’humour. Vêtue au départ d’un très beau costume ethnique, elle s’en débarrasse pour laisser apparaître une élégante robe noire longue, fendue sur le côté. Puissante, drôle et gracieuse en même temps, Karo Ito a toutes les qualités d’une grande danseuse.

Contrairement à ce que déclare le titre de sa pièce, Karo Ito ne se méfie pas suffisamment des mots. Dans ce spectacle qui ressortit de la danse-théâtre, la partie théâtrale se révèle malheureusement sans grand intérêt pour les spectateurs – même si elle est sans doute celle à laquelle la chorégraphe est la plus attachée, devoir filial oblige – et nous empêche de considérer Je danse parce que je me méfie des mots comme une réussite, malgré l’incontestable talent de la danseuse-chorégraphe.

30 avril 2018

 

 

 

 

[i] Voir ici-même les articles de Roland Sabra et Selim Lander.

[ii] Parce que vêtus d’un pantalon blanc  couvert d’une jupe longue également blanche (et fendue pour ne pas entraver les mouvements des danseurs).

[iii] Dans la même veine, les livres consacrés à l’enfant prématurément disparu à la suite d’une maladie incurable. Nous ne voulons pas mettre ici en doute les sentiments des auteurs de tous ces récits consacrés à la mémoire d’un cher disparu (même si l’acte d’écrire induit automatiquement une part de fiction) mais contester fermement ce qui apparaît comme une nouvelle mode éditoriale.