La biennale se termine en apothéose
Difficile d’imaginer un plus beau cadeau aux spectateurs de la biennale que cette pièce née de la « Toulouse connection », le metteur en scène Aurélien Bory se mettant au service de la danseuse flamenco Stéphanie Fuster. Chez Aurélien Bory la scénographie est toujours un élément essentiel du spectacle, au point parfois d’en devenir le sujet principal[i]. Si ce n’est pas le cas ici où la danseuse, constamment présente, tient à l’évidence le premier rôle, il contribue pour une grande part à faire de cette pièce intitulée sans raison apparente Qu’est-ce que tu deviens ? tout autre chose qu’une démonstration de flamenco. Donc, à jardin, un réservoir (dont on se demande longtemps à quoi il peut bien servir), au centre un espace carré délimité par une bordure de quinze centimètres de haut environ, à cour un container dont l’intérieur est visible à travers une large vitre, trois éléments qui n’ont rien de gratuit.
La pièce commence par un prologue, trop long au point que nous faillîmes bien désespérer, au cours duquel, la danseuse bien installée dans son carré joue avec sa robe rouge, qui n’en est pas une (de robe) mais une simple façade derrière laquelle elle se dissimule avant de se mettre à jouer avec elle. Aucune danse là-dedans, une musique absente ou sans saveur : on a hâte de passer à autre chose ! Tout change, fort heureusement, lorsque, la demi-robe envolées dans les cintres, S. Fuster réapparaît dans le container en tenue de travail (pantalon et petit haut beiges) et se met illico à s’échauffer face à un miroir. L’occasion pour le spectateur de vérifier que le flamenco tient plus de l’art de la guerre que de la danse de salon. Troisième et dernier temps : retour de S. Fuster, vêtue cette fois d’une petite robe noire, dans le carré qui commence illico à se remplir d’eau (d’où l’utilité des bordures et du réservoir).
Une fois passé le prologue, la pièce devient un régal – sans éclairer pour autant le sens du titre (et ce ne sont pas les explications fournies dans le programme de la biennale qui nous y aideront, plutôt le contraire !). Le flamenco est spectaculaire par nature, capable de séduire même avec des interprètes médiocres dans une boite miteuse de Séville. Cependant A. Bory et S. Fuster ne sont pas tombés dans le piège d’une nième exhibition de flamenco. Partant des figures élémentaires de cette danse ils ont fait mieux et plus fort, une pièce puissante, à la limite de l’abstraction, dont le mystère ne se laisse pas facilement percer (d’où l’incompréhension que suscite le titre), prodigieux corps à corps de la danseuse avec elle-même (les musiciens – un chanteur et un guitariste – étant relégués au second plan.
On a rappelé l’importance du décor dans les œuvres signées Aurélien Bory, à la fois metteur en scène et scénographe. Il le montre à nouveau ici avec l’embuage progressif du container qui clôture la séance d’échauffement, l’utilisation du carré réservé à la danse comme un caisson pour amplifier le claquement des souliers sur le plancher, la transformation dudit carré en bassin, la bailaora continuant à danser les pieds dans l’eau.
PS : Il serait intéressant d’étudier de plus près les intentions des M.E.S. qui couvrent d’eau le plateau, une pratique pas si rare. Les Martiniquais se souviennent peut-être d’un Bourgeois gentilhomme présenté sur la même scène de la grande salle de l’Atrium il y a un bon nombre d’années. Le dernier festival d’Avignon a été marqué par la mise en scène « pieds dans l’eau » de l’Antigone de Sophocle par le Japonais Satoshi Miyagi dans la cour d’honneur du Palais des papes. Etc.
[i] Comme dans le très réussi ESPAECE vu en Avignon en 2016.